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Ma vie, c'est du bonheur à ne plus savoir qu'Enfer. Journaliste littéraire et culturelle pour le BSC News Magazine, je suis une passionnée, amoureuse de la vie et boulimique de mots. Ceux que je dévore à travers mes très nombreuses lectures, et ceux qui se dessinent et prennent vie sous ma plume. Je travaille actuellement à l'écriture d'un roman, d'un recueil de poèmes ainsi que d'un recueil de tweets. A mes heures perdues, s'il en est, j'écris des chansons que j'accompagne au piano. Mon but dans la vie ? Réaliser mes rêves. Work in progress... LES TEXTES ET POÈMES PRÉSENTS SUR CE BLOG SONT PROTÉGÉS PAR LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE (COPYRIGHT).

22 déc. 2011

Chronique 'La part de l'Autre', Eric-Emmanuel Schmitt



« Voilà ce qui se passait ce 8 octobre 1908. Un jury de peintres, graveurs, dessinateurs et architectes avait tranché sans hésiter le cas du jeune homme. Trait malhabile. Composition confuse. Ignorance des techniques. Imagination conventionnelle. Cela ne leur avait pris qu'une minute et ils s'étaient prononcés sans scrupule : cet Adolf Hitler n'avait aucun avenir.
Que ce serait-il passé si l'Académie des beaux-arts en avait décidé autrement ? Que serait-il arrivé si, à cette minute précise, le jury avait accepté Adolf Hitler ? Cette minute-là aurait changé le cours d'une vie mais elle aurait aussi changé le cours du monde. Que serait devenu le vingtième siècle sans le nazisme ? Y aurait-il eu une Seconde Guerre mondiale, cinquante-cinq millions de morts dont six millions de Juifs dans un univers où Adolf Hitler aurait été un peintre ? »

« Recalé ». Le verdict est sans appel. Le jeune Adolf Hitler vient d’échouer pour la seconde fois au concours de l’Académie des beaux-arts qui n’offre pas de troisième chance. Son rêve de devenir un grand peintre vient de lui être arraché. C’est à partir de là que commence le roman.
A partir de cet instant – peut-être crucial - qui a probablement changé le destin d’un homme, pire, qui a peut-être changé le destin de l’Humanité.
Eric-Emmanuel Schmitt se risque à un exercice pour le moins délicat et ambitieux : tracer en parallèle le portrait de deux personnages antagonistes, l’un représentant le véritable Hitler tel qu’il s’est fait connaître au monde, l’autre un Adolf H. tel qu’il aurait pu être et devenir s’il avait été admis à l’académie de Vienne.
Et c’est ainsi que s’entremêlent ces deux destinées. Hitler, qui a perdu ses deux parents, n’a presque plus d’argent et souffre d’un physique peu avantageux et d’une vie sociale peu valorisante, prend cet échec comme un ultime rejet de la société. Convaincu d’être un être exceptionnel incompris, il s’enfonce lentement dans une véritable névrose tandis que sa peur des femmes le prive de toute sexualité. A mesure qu’il se persuade être le centre du monde et avoir raison sur tout, il fuit la réalité et décide peu à peu de reconstruire le monde pour le refaire à son image, au prix de millions de vies humaines.
A l’inverse, Adolf H. (imaginé de toutes pièces par l’auteur) est accepté à l’école des Beaux-arts. Il entame alors une pathétique carrière de peintre raté, mais ne baisse pas les bras face à la difficulté. Il cherche à se comprendre, reconnaît l’existence de ses problèmes et tente d’y remédier. Il apprend l’humilité, acceptant de n’être peut-être pas si exceptionnel et meilleur que ses semblables. Il découvre les femmes, l’amour, s’ouvre au monde et à ses opportunités. On le trouverait presque sympathique parfois… et c’est en cela que l’œuvre d’Eric-Emmanuel Schmitt a de quoi mettre mal à l’aise. « Cela dérange de trouver, par moments, Hitler humain alors que nous avons absolument besoin de voir en lui une bête sauvage et cruelle. »
En réalité, on se rend rapidement compte – et heureusement - qu’au-delà du résultat au concours d’entrée des Beaux-arts, ce qui sépare surtout ces deux versions d’Hitler, ce sont de sensibles différences de caractère. On échappe donc à la dangereuse conclusion selon laquelle l’académie de Vienne serait responsable d’avoir donné naissance au plus grand dictateur de tous les temps.
La part de l’autre est un livre sujet à controverse, un livre qui mérite d’être correctement interprété. C’est sans doute pour cela que l’auteur a jugé nécessaire d’annexer au récit ses commentaires personnels, expliquant la difficulté de sa démarche, les sensations éprouvantes ressenties lorsqu’il lui semblait pénétrer l’esprit du dictateur, et précisant son intention profonde, le message qu’il souhaitait faire passer au travers de cette uchronie. 
Il ne faut donc pas voir ici une tentative de l’auteur de chercher à « excuser » Hitler, ou du moins de  lui trouver des circonstances atténuantes pour l’horreur dont il s’est rendu coupable. Si la tentation peut à certains moments se présenter, il faut en réalité pousser la réflexion plus loin. Car, comme Eric-Emmanuel Schmitt le précise : « Comprendre n'est pas justifier. Comprendre n'est pas pardonner. » Comprendre, c’est s’armer pour mieux combattre l’ennemi, c’est se prémunir pour l’avenir.
Et ce qu’il cherche surtout à nous faire comprendre tout au long de cette courageuse entreprise, c’est que notre plus grosse erreur est de croire qu’Hitler était un monstre, un être exceptionnel – exceptionnellement cruel – alors qu’il n’était en réalité qu’un être aussi banal que vous et moi, moins « inhumain » que cela nous arrange de le croire. L’intérêt étant de garder à l’esprit que le mal peut surgir de n’importe où, que cette « part de l’autre » - autrement dit cette part de mal - sommeille en chacun de nous. On assiste finalement à ce qu’on pourrait qualifier de « processus de fabrication d’un homme » – ou comment, à partir d’une même base, chacun de nous aurait pu devenir totalement autre qu’il est. 
On adhère ou pas, mais l’auteur défend sa thèse avec conviction, d’une plume fluide et assurée, et nous offre une lecture troublante, captivante, qui invite forcément à la réflexion.
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC News Magazine de décembre 2011.

13 déc. 2011

Chronique 'L'écriture ou la vie', Jorge Semprun





Biographie
Né en 1923 à Madrid, Jorge Semprun – fils d’un diplomate de la République espagnole – s’exile avec sa famille en France en 1939, à la fin de la guerre civile qui sévit dans son pays. Quelques années plus tard, il s’installe à Paris pour suivre des études de philosophie à la Sorbonne. Engagé très tôt dans la résistance, il n’a que 19 ans lorsqu’il est arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald en janvier 1944. Il y restera jusqu’à la libération du camp par les alliés en avril 1945. Il sera ensuite traducteur pour l’UNESCO jusqu’en 1952, et dès l’année suivante il militera - sous le pseudonyme de Frederico Sanchez - au Parti communiste espagnol clandestin dont il coordonnera les activités de résistance avant d’en être exclu en 1964.
C’est alors qu’il décidera de se consacrer pleinement à l’écriture en publiant son premier roman, Le grand voyage, auquel suivront une trentaine d’autres, dont beaucoup seront inspirés de son incarcération au camp de Buchenwald. Son œuvre littéraire lui vaudra de nombreux prix, dont notamment le Prix Littéraire des Droits de l’Homme 1995 pour L’écriture ou la vie. Il achèvera sa carrière politique en tant que ministre de la Culture du gouvernement espagnol de 1988 à 1991. En 1996, il sera élu à l’Académie Goncourt.
Et c’est en 2011 que cette mort qu’il aura tant côtoyée finira par l’emporter à son domicile parisien.
Le parcours exceptionnel de cet homme, son engagement politique et son amour profond de l’Humanité en font l’une des grandes figures historiques et littéraires de la France du XXème siècle.

Chronique
Du camp de Buchenwald, Jorge Semprun se considérait comme un « revenant », non comme un rescapé. Car si les rescapés ont échappé à la mort de justesse, lui - à l’instar des milliers d’autres détenus qui sont sortis vivants des camps de concentration – estimait avoir connu la mort, l’avoir affrontée de plein fouet. Expérience de la mort dont il n’est probablement pas revenu complètement vivant.
C’est d’ailleurs l’un des thèmes qu’il développe dans L’écriture ou la vie, publié en 1994. Cet ouvrage n’est pas tant le récit autobiographique de ses seize mois de vie à Buchenwald que l’investigation de l’âme humaine qui en est revenue. Jorge Semprun nous livre ici son expérience personnelle, la façon dont cette épouvantable tragédie a transformé son regard sur le monde, sa perception de la vie. Une expérience si invraisemblable que, selon lui, seul l’Art est capable de la raconter.
Ainsi, si les descriptions sur la vie à l’intérieur du camp sont peu nombreuses et toujours évoquées avec beaucoup de pudeur, nous sommes en revanche plongés dans les méandres de l’âme, la difficulté du retour à la vie après cette traversée de la mort, l’accès soudain à un avenir que lui et ses frères de détention n’imaginaient même plus. « Survivre, simplement, même démuni, diminué, défait, aurait été déjà un rêve un peu fou. »
Et puis ce constat bouleversant, ce rapport au temps inversé : « C’est excitant d’imaginer que le fait de vieillir, dorénavant, à compter de ce jour d’avril fabuleux, n’allait pas me rapprocher de la mort, mais bien au contraire m’en éloigner. »
En trame de fond Jorge Semprun se livre à de nombreux questionnements philosophiques - explorant la pensée d’Heidegger, Goethe, Hegel, Nietzsche ou encore Brecht – et à une longue réflexion sur le bien et le mal.
Il nous parle également de son rapport extrêmement complexe à l’écriture, clairement évoqué dans le titre du livre. En effet, c’est dès sa libération du camp qu’il entreprend l’écriture de ce livre car il lui semble n’avoir d’autre moyen de se sentir vivant qu’en témoignant de l’horreur qu’il vient de vivre. Mais il s’interrompt rapidement lorsqu’il se rend compte que l’écriture menace en réalité sa survie en l’emprisonnant dans la mort. «Voilà où j’en suis : je ne puis vivre qu’en assumant cette mort par l’écriture, mais l’écriture m’interdit littéralement de vivre. »
Aussi, pour ne pas perdre pied et revenir au monde des vivants, il lui faut taire, oublier cette expérience. Ce qu’il fera pendant de nombreuses années, avant de reprendre l’écriture de ce livre cinquante ans plus tard.
Il est difficile de comparer cet ouvrage aux autres témoignages d'anciens détenus des camps de concentration, tant l'approche de Jorge Semprun est singulière. Il s'agit là davantage d'un voyage à l'intérieur de l'homme qui a survécu au camp de concentration qu'un voyage à l'intérieur du camp. Au gré de nombreuses digressions, Jorge Semprun mêle descriptions, récit d'anecdotes et questionnements philosophiques, donnant à l'ensemble un aspect quelque peu décousu mais qui reflète finalement le chaos intérieur de l'auteur, et témoigne par là-même d'une profonde sincérité.
Mélina Hoffmann

Extraits du livre


« On peut tout dire de cette expérience. Il suffit d’y penser. Et de s’y mettre. D’avoir le temps, sans doute, et le courage, d’un récit illimité, probablement interminable, illuminé – clôturé aussi, bien entendu – par cette possibilité de se poursuivre à l’infini. Quitte à tomber dans la répétition et le ressassement. Quitte à ne pas s’en sortir, à prolonger la mort, le cas échéant, à la faire revivre sans cesse dans les plis et les replis du récit, à n’être plus que le langage de cette mort, à vivre à ses dépens, mortellement.
Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? Le pourra-t-on ? En auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaires ?  »
 « Depuis deux ans, je vivais sans visage. Nul miroir, à Buchenwald. Je voyais mon corps, sa maigreur croissante, une fois par semaine, aux douches. Pas de visage, sur ce corps dérisoire. De la main, parfois, je frôlais une arcade sourcilière, des pommettes saillantes, le creux d’une joue. (…) Je voyais mon corps, de plus en plus flou, sous la douche hebdomadaire. Amaigri mais vivant : le sang circulait encore, rien à craindre. Ça suffirait, ce corps amenuisé mais disponible, apte à une survie rêvée, bien que peu probable. »
« Moments de nostalgie, de vague à l’âme, dans la déchirante incertitude du renouveau. Et soudain, portée par le vent, l’étrange odeur. Douceâtre, insinuante, avec des relents âcres, proprement écœurants. L’odeur insolite, qui s’avérait être celle du four crématoire. Étrange odeur, en vérité, obsédante. Il suffirait de fermer les yeux, encore aujourd’hui.  (…) Un bref instant suffirait, à tout instant. Se distraire de soi-même, de l’existence qui vous habite, vous investit obstinément, obtusement aussi : obscur désir de continuer à exister, de persévérer dans cette obstination, quelle qu’en soit la raison, la déraison. (…) L’étrange odeur surgirait aussitôt, dans la réalité de la mémoire. J’y renaîtrais, je mourrais d’y revivre. Je m’ouvrirais, perméable, à l’odeur de vase de cet estuaire de mort, entêtante. »


Chronique publiée dans le BSC News Magazine de novembre 2011.

7 déc. 2011

Chronique 'Fragments du métropolitain'


« Dans le couloir de correspondance, tu as posé tes pas sur les miens. Nous avons marché en cadence. Ton pied gauche sur mon pied gauche. Mon pied droit sur ton pied droit. Deux amoureux n'auraient pu épouser leur rythme avec autant d'harmonie. En as-tu conscience ? J'ai accéléré car, tout de même, nous ne nous connaissions pas. »
Il est le lieu des rencontres avortées, des sourires oubliés, des regards fuyants, des solitudes partagées. On s'y croise, on s'y bouscule, on s'y observe, on s'y retrouve... où on s'y perd. On s'y mélange, que l'on vienne d'ici... ou d'ailleurs. Pour certains ce n'est qu'un lieu de passage, pour d'autres c'est devenu un lieu de subsistance où la chaleur humaine est en libre-service.
Prisonnier de ses souterrains, le métro glisse tel un serpent d’une station à une autre, avalant et régurgitant inlassablement son flux de voyageurs pressés, perdus -parfois ni l’un ni l’autre - soumis bien malgré eux à une promiscuité dérangeante ou au contraire agréable. Au sein de ce microcosme urbain se jouent chaque jour des scènes ordinaires, parfois étranges, parfois drôles, parfois touchantes, dans lesquels s’improvisent les rôles, éphémères.
C’est cette atmosphère particulière, familière à beaucoup d’entre nous, qu’a voulu retranscrire Jeanne Truong au travers de ces nombreuses anecdotes piochées ça et là, au détour d’une ligne, d’une station, d’un couloir. Des fragments de vie à l’état brut, qui nous ramènent inévitablement à nous-mêmes et à nos mouvements d’âme. « En côtoyant ces galeries de portraits, traversées par tant d'étranges autochtones, je ne fais que descendre au cœur de la nudité humaine. »
Il y a cette jeune fille qui cherche une terre d’asile pour son esprit dans les mots de Proust ; cet homme au chômage qui passe ses journées à demander l’heure pour goûter à un semblant de communication avec le monde qui l’entoure ; et puis ces corps qui se frôlent, se heurtent, bien souvent dans la plus parfaite indifférence…
Aux anecdotes se mêlent les commentaires de l’auteur sur la façon dont fonctionne cette drôle de société souterraine : « De manière générale, pour réussir à obtenir une aumône, il ne faut pas avoir l'air trop pauvre ni trop malheureux. Ce qui arrache les larmes intérieures à la foule, c'est le clochard au visage digne, le pierrot muet, fantôme imperturbable dont l'inexpression inspire ce qu'on veut bien y mettre. Le mime froid et blanc au-delà des amertumes, retranché dans une solitude insondable. Ce qui a encore plus de succès, c'est l'homme qui a un langage châtié, celui qui sent les études, l'érudit, l'homme de lettres, le poète déchu, celui qui tient sa phrase avec son vocabulaire livresque. »
Un livre contemporain qui nous invite à nous attarder quelques instants (de plus ?) sur celles et ceux avec lesquels nous cohabitons chaque jour, dans l’espace clos de wagons ; ces compagnons de voyages que nous ne choisissons pas, que nous croisons seulement, sans jamais les rencontrer.

Chronique publiée dans le BSC News Magazine de novembre 2011.

29 nov. 2011

Chronique 'Un amour pour rien', de Jean d'Ormesson



« L'histoire que je vais raconter est la plus simple du monde. C'est l'histoire d'un amour qui aurait pu être heureux. Je ne sais si je la raconte pour la revivre ou pour l'oublier. Je sens seulement en moi le goût amer et tendre des larmes du souvenir. »
Philippe est un jeune homme plein de fougue, qui n'a jamais connu et cherché que le plaisir, la passion et la liberté en toutes choses, et dans ses relations avec les femmes notamment. Ainsi, lorsqu'il rencontre Béatrice lors de vacances à Rome, il ne voit en elle qu’une nouvelle conquête et se laisse porter par cette relation qui lui procure un certain bonheur.
Après quelques semaines passées ensemble, Béatrice est amoureuse, et si Philippe sent que cette femme ne le laisse pas indifférent, son irrépressible besoin d'indépendance le pousse à la quitter dès son retour à Paris. Aveugle à la souffrance de la jeune femme, Philippe ne songe qu'à retrouver la légèreté de sa vie d'avant. Mais lorsqu'il apprend que Béatrice a trouvé un autre compagnon, le choc est aussi violent qu'inattendu. L'évidence s'impose alors, mais trop tard : il aime Bérénice, passionnément. 
C’est une histoire universelle que nous raconte ici Jean d’Ormesson, celle de deux êtres qui auraient pu s’aimer, mais dont les cœurs n’ont pas su se rencontrer. Car pour l’amour, comme pour le bonheur, c’est malheureusement souvent lorsqu’on le perd qu’il se révèle.
L’auteur se livre à une analyse minutieuse des sentiments des personnages qui, à tour de rôle, souffrent d’un même amour. Il décrit les tourments de l’âme d’un homme qui prend soudainement conscience de la passion qui l’habite pour la femme qu’il vient de laisser s’échapper et qui ne veut désormais plus de lui. Une passion qui se mue alors en véritable obsession, avec tout ce que cela comporte d’attente, d’espoirs, d’illusions et de souffrances.  
« L'entêtement de l'amour est incroyable. Comme toute passion, l'amour malheureux se refuse avec une obstination admirable à s'incliner devant les faits. »
Une histoire au goût amer, parsemée de nombreuses réflexions sur l’amour et ses intermittences, la passion et ses nuances, le désir, la douleur, la complexité des sentiments, les rapports entre les êtres… Le tout sur un fond de poésie et de douceur de vivre qui donnent à ce roman toute sa saveur.
« Nous restâmes longtemps assis à regarder l'ombre l'emporter sur le soleil. Il y avait dans ses progrès sûrs et lents quelque chose d'infiniment triste et d'infiniment doux. Les marches tombaient l'une après l'autre dans la grisaille du soir. L'ocre des maisons pâlissait, les grands parasols sur les places se refermaient soudain, les étudiants se levaient, remettaient leur veste, partaient. Un nouveau soir tombait sur la place d'Espagne à Rome, sur le bel escalier de la Trinité-des-Monts. »
Jean d’Ormesson peint les décors plus qu’il ne les écrit, et la magie opère…

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC News Magazine de novembre 2011.

3 nov. 2011

Chronique 'L'éducation d'une fée', de Didier van Cauwelaert



« Elle me regarde durement, immobile, refoulant la tentation, le soulagement. Des larmes viennent dans ses yeux. Elle est à bout de nerfs, de fatigue, de chagrin. Il faudra des mois de patience et de gentillesse pour qu'elle redevienne la femme radieuse, légère et drôle que je devine sous le poids des circonstances. »
Cela aurait pu être une rencontre banale, fugace, celle d'individus empruntant un même avion mais volant vers des destins différents. Ils auraient pu ne faire que se croiser, lui, inventeur de jouets pour enfants, elle, qui vient de perdre son mari à la guerre, et son petit garçon.
Mais ce jour-là, ce vendredi matin précisément, dans un bus d'Air France, lorsque Nicolas rencontre Ingrid et Raoul, la magie opère. « Elle était le rêve de femme que je poursuivais de brouillon en brouillon. »
Nicolas tombe complètement sous le charme de cette femme troublante et désabusée, de sa douceur, de ce chagrin qu'elle semble porter à bout de bras, et de ce petit garçon de 8 ans, si attachant, qui en quelques minutes voit déjà en lui un père de substitution.
A ce coup de foudre succède un mariage, trois mois plus tard. Ils s'aiment avec l'impatience et l'ivresse de deux enfants étourdis par la passion. Jusqu'au jour où, d'une manière aussi brutale qu'inattendue, Ingrid décide de mettre un terme à leurs quatre années de relation. Non pas parce qu'elle n'aime plus Nicolas, bien au contraire, parce qu'elle l'aime, dit-elle, et refuse l'idée que cet amour puisse s'éteindre.
« Je ne veux pas voir dans ton regard autre chose que... nous. Ç’a été trop beau, Nicolas. Trop fort. Je préfère qu'on arrête d'un coup, avant de gâcher le désir, que tu te forces ou que tu fermes les yeux pour penser à une autre... »
Plongé dans l'incompréhension la plus totale, Nicolas trouve soutien et réconfort auprès de César, une jeune immigrée irakienne, caissière au supermarché dans lequel il a l'habitude de faire ses courses. Mais c'est Raoul qu'il tente avant tout de préserver de ces désillusions d'adultes, l'encourageant à croire en un monde enchanté dans lequel les fées peuvent réaliser nos vœux. Le petit garçon n'a alors plus qu'une chose en tête : trouver la fée qui réunira ses deux parents. Et s'il suffisait d'y croire très fort ?
On lit ce roman de Didier van Cauwelaert comme on dégusterait un chocolat chaud fumant au coin du feu par une soirée d'hiver glaciale ! Ou (pour ceux qui n'aimeraient ni le chocolat chaud ni les feux de cheminée !), comme on se blottirait sous la couette avec notre bouquin préféré par un dimanche matin pluvieux ! Croyez-moi, ce conte de fées moderne pour adultes mérite bien ces deux métaphores car tout y est pour nous réchauffer, nous réconforter, nous redonner espoir : une plume d'une grande sensibilité, des personnages touchants et authentiques, de belles histoires d'amour, beaucoup de tendresse, de la magie et de la poésie.
Un roman pour rêver un peu, comme une parenthèse de douceur dans un monde brutal, qui ravira tous ceux qui n'ont pas perdu leur âme d'enfant.
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC News Magazine de septembre 2011.

17 oct. 2011

Interview David Foenkinos


Grâce à son style simple et décalé, sa plume habile et délicate, ou encore ses personnages loufoques et attachants,  David Foenkinos s’est tout naturellement fait sa place dans le paysage littéraire français. 
En cette rentrée littéraire, l’auteur de La délicatesse*, Nos séparations, ou encore Le potentiel érotique de ma femme – pour ne citer que ces titres – revient avec un nouveau roman, Les Souvenirs, publié chez Gallimard.
A cette occasion, et pour notre plus grand plaisir, David Foenkinos a accepté de se prêter au jeu de l’interview !


David Foenkinos, bonjour, et avant tout merci de me consacrer un peu de votre temps. Pouvez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre parcours ?
J’ai fait des études de lettres à la Sorbonne, et de Jazz au CIM.


Comment vous est venue l’envie d’écrire des romans ?
Vers l’âge de 16 ans, j’ai découvert des auteurs qui m’ont donné le goût de lire, puis d’écrire. Ce sont ces rencontres-là qui ont été décisives.


Derrière les situations ironiques, burlesques, qui peuplent vos romans se dissimulent de nombreuses réflexions sur l'amour, les relations humaines, la société… Finalement, l’air de rien !, dans vos romans vous nous parlez... de nous ?
J’aime que les situations ou les personnages soient matière à réflexion, mais je ne cherche jamais à élaborer des théories, ou faire des généralités.


Vous évoquez des thèmes parfois graves (la mort, la séparation, le suicide…) avec une légèreté déconcertante qui les rendrait presque plus supportables ! Etes-vous d’une nature plutôt sereine et optimiste ?
Comme beaucoup, j’oscille en permanence entre les deux. Je suis un dépressif joyeux. On retient davantage de mes livres la légèreté alors que, oui, le fond est souvent grave.


Vous maniez les mots et l’humour avec beaucoup d'habileté, de subtilité, et on ne peut qu'imaginer que vous avez pris autant de plaisir à écrire vos livres que nous à les lire ! Pratiquez-vous parfois l’autocensure ?
J’essaye de prendre du plaisir à l’écriture, oui. J’essaye de m’amuser avec le roman. Je ne sais pas si je pratique l’autocensure, mais mes livres sont de plus en plus épurés. Je coupe plus qu’avant !


Avez-vous des rituels d'écriture ? Des lieux ou des musiques dans lesquels vous puisez votre inspiration ?
J’écris souvent le matin. J’aime aussi écrire quand je voyage. Il m’arrive d’accepter une invitation dans une librairie, car je sais que je vais pouvoir écrire dans le train.


Le personnage principal de votre roman "Le potentiel érotique de ma femme" (ndlr. voir chronique dans ce numéro) souffre d’un besoin irrépressible de tout collectionner, ce qui provoque des situations très coquasses ! S'agit-il d'un personnage sorti tout droit de votre imagination ou est-il inspiré de votre propre tendance à collectionner les lecteurs fidèles, les prix littéraires et les métaphores ?! (sourires)
Ah… au moment où j’ai écrit ce livre, j’étais loin de collectionner les lecteurs ! C’est un livre sur l’obsession. Sur le besoin permanent et la nécessité d’être rassuré. C’est un livre sur une fragilité qui devient comique. Mais j’aimais bien l’idée d’un homme qui a envie de collectionner un geste de sa femme.


L’adaptation cinématographique de votre roman La délicatesse sortira très prochainement, avec Audrey Tautou et François Damiens dans les rôles principaux.  Vous avez réalisé ce film avec votre frère. Que vous a apporté cette expérience ? Une sensation d'aboutissement ? Un nouveau regard sur votre livre, vos personnages ? L'envie de renouveler l'expérience ?
Non, pas d’aboutissement. Le roman demeure mon obsession. Mais c’était fabuleux de vivre une expérience collective. Et avec mon frère. Mais c’est si long un film… il faut beaucoup d’énergie ! Il faut avoir envie de passer beaucoup de temps avec une histoire. Et c’est ce que j’ai éprouvé pour La délicatesse. J’avais envie, pour la première fois, de continuer à écrire le livre. Et puis l’expérience avec les acteurs a été très belle. C’était si étrange de vivre avec Nathalie et Markus en vrai !


Votre nouveau roman, Nos souvenirs, vient de paraître. Qu’avez-vous envie de dire à nos lecteurs pour qu’ils se précipitent en librairie ?!
Disons que c’est un livre plus personnel, sûrement plus grave. Je ne peux pas motiver les gens pour aller en librairie ! J’espère juste que ceux qui m’ont découvert avec La délicatesse auront envie de me lire à nouveau.


Quels sont vos projets à l’heure actuelle ?
Aucun ! A part faire une tournée pour la sortie du film.



Que lisez-vous en ce moment ? Quels sont vos derniers coups de cœur littéraires ?
J’ai adoré le livre de Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit. Il est d’une grande force.


Enfin, quelle question auriez-vous aimé que je vous pose, et qu'y auriez-vous répondu ? 
Etes vous fatigué ? Oui, toujours.


Un petit portrait chinois pour terminer :
Si vous étiez…
-       un livre ?
L’insoutenable légèreté de l’être.
-       un philosophe ?
Cioran.
-       un poète ?
Eluard.
-       un moment de la journée ?
Le matin.
-       une chanson ?
L’amour en fuite, de Souchon.
-       un pays ?
La Suisse.
-       un pêché capital ?
La mort.
-       une boisson ?
Jus d’abricot.
-       un défaut ?
La mollesse.
-       une saison ?
L’automne.
-       un mot ?
Mauve.
-       une citation ?
En vain la raison me dénonce la dictature de la sensualité, Aragon.

Merci beaucoup David Foenkinos, au plaisir de vous retrouver dans nos pages !

Propos recueillis par Mélina Hoffmann
Retrouvez cette interview dans le BSC News Magazine d'octobre 2011.

Chronique "Le potentiel érotique de ma femme", de David Foenkinos



« Toute sa vie, il n’avait été qu’un cœur battant au rythme des découvertes. Il avait collectionné les timbres, les diplômes, les peintures de bateaux à quai, les tickets de métro, les premières pages des livres, les touilleurs et piques apéritif en plastique, les bouchons, les moments avec toi, les dictons croates (...)bref, il avait tout collectionné, et, à chaque fois, avec la même excitation. Son existence respirait la frénésie ; avec toutes les périodes d’euphorie pure et d’extrême dépression que cela pouvait impliquer. »

Hector vit seul. Seul avec ses tonnes d’objets accumulés au fil des années, et son désespoir. Hector souffre d’un mal bien étrange qui lui gâche la vie : il collectionne tout et n’importe quoi ! Surtout n’importe quoi d’ailleurs ! C’est bien simple, dès que quelque chose lui plaît, il éprouve un besoin irrépressible de le collectionner. Sa vie ne tourne ensuite plus qu’autour de cet objet devenu obsession et bientôt remplacé par un autre. Toutes ses tentatives de sevrage se soldaient par un échec, même l’aide des « collectionneurs anonymes » ne lui permettait pas de se désintoxiquer.
Et puis, un beau jour, une rencontre inattendue. Une belle rencontre, de celles qui font renaître jusqu’aux espoirs les plus vains. La femme de sa vie. Et soudainement, la perspective d’un avenir sans collection qui se dessine, d’une vie remplie d’un amour unique, un amour impossible à dupliquer.  La rechute semble alors impossible pour Hector. « On peut collectionner les femmes, mais on ne peut pas collectionner la femme qu’on aime. » C’était ce qu’il croyait…
David Foenkinos a un style bien à lui qu’on reconnaîtrait entre mille ! Simples, légers  et divertissants à souhait, ses romans nous promettent toujours un agréable moment de lecture ponctué de rires. Et celui-ci ne déroge pas à la règle ! Malgré un soupçon de lassitude sur la fin (à moins que ce ne soit la narration qui s’essouffle ?), on se laisse porter tout du long par cette histoire et ses personnages loufoques, ses situations coquasses voir absurdes, et l’humour tout en finesse de l’auteur !
« Comme il avait pour habitude de compter les moutons pour s’endormir, il fut bien embêté. Pour arranger la chose, le mouton fut suivi d’un cheval, puis le cheval d’un hippocampe, puis l’hippocampe d’un écureuil roux, puis comme notre but n’est pas d’endormir le lecteur, nous arrêtons ici cette énumération qui dura une bonne partie de la nuit. Pour la petite histoire, c’est le passage de la loutre qui l’acheva. »
A votre tour, prenez garde ! Cette lecture fort plaisante pourrait bien vous donner envie de collectionner les romans de David Foenkinos !
Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC News Magazine de septembre 2011. 

13 sept. 2011

Chronique, "Les heures souterraines", Delphine de Vigan


« Il est fatigué. Il aimerait qu'une femme le prenne dans ses bras. Sans rien dire, juste un instant. Se reposer, quelques secondes, prendre appui. Sentir son corps se relâcher. Parfois il rêve d'une femme à qui il demanderait : est-ce que tu peux m'aimer ? Avec toute sa vie fatiguée derrière lui. Une femme qui connaîtrait le vertige, la peur et la joie. »
Thibault et Mathilde. Deux êtres qui ne se connaissent pas. Deux inconnus pourtant prisonniers d’une même détresse, d’un même mal de vivre enfoui en eux-mêmes. Deux être fragilisés par la vie, un peu trop cruelle. 
Mathilde est cadre dans une grande entreprise. Alors que tout allait pour le mieux, son destin bascule lorsqu’elle est victime de harcèlement moral de la part de son patron – même si le mot n’est jamais prononcé dans le livre. Pour Mathilde, c’est la descente aux enfers. Un véritable processus de démolition semble avoir été lancé à son égard. « Des oublis, des erreurs, des agacements qui, isolés les uns des autres, relevaient de la vie normale d'un service. Des incidents dérisoires dont l'accumulation, sans éclat, sans fracas, avait fini par la détruire. » 
En plus de devoir subir l’humiliation que lui inflige son patron, Mathilde est bientôt confrontée à l’isolement – déménagée dans un bureau sans fenêtre - et à l’indifférence de ses collègues, trop soucieux de conserver leur place dans l’entreprise. Rongée par l’incompréhension, la jeune femme ne sait plus quoi faire ni comment se comporter
Thibault, lui, est médecin, il se rend chaque jour aux domiciles de ses patients. La souffrance à laquelle il se trouve ainsi confronté chaque jour le ramène à la sienne. Thibault souffre d’aimer follement une femme qui ne lui offre rien d'autre que son corps et un peu de son temps. « Elle n'a pas peur de le perdre, de le décevoir, de lui déplaire, elle n'a peur de rien : elle s'en fout. Et contre ça il ne peut rien. Il faut qu'il la quitte. Il faut que ça s'arrête. »
Leurs mal-être et leurs sensibilités se font échos au fil des pages, au fil des mots qu’ils se partagent aussi parfois, sans le savoir. Nous nous immergeons dans leurs vies respectives et, à mesure que les pages se tournent, on ne souhaite plus qu’une chose : rassembler ces deux destins égarés qui semblent avoir tant besoin l'un de l'autre ; qu’ils se croisent enfin pour réunir leurs solitudes. 
Tout semble vouloir les pousser l’un vers l’autre, mais parviendront-ils à se rejoindre, à se reconnaître, à se retenir ?
Un roman douloureusement réaliste qui sonne juste et nous plonge dans deux quotidiens qui pourraient être les nôtres ; qui sont probablement ceux d’anonymes que nous croisons, au détour d’un couloir de métro, dans la plus parfaite et tragique indifférence. 
Delphine de Vigan aborde avec lucidité et sensibilité des réalités graves auxquelles chacun de nous est susceptible d’être un jour confronté, lorsque notre vie nous échappe, que nos forces nous abandonne jusqu’à sombrer dans un précipice de solitude. Elle nous emmène au cœur d’une vie souterraine qui nous est familière, qu'elle dépeint avec une plume formidablement réaliste et fluide. 
« Le métro ralentit, s'arrête, il est là. Il dégorge, régurgite, libère le flot, quelqu'un crie "laissez descendre", on se bouscule, on piétine, c'est la guerre, c'est chacun pour soi. Soudain c'est une question de vie ou de mort, monter dans celui-là, ne pas devoir attendre un improbable suivant, ne pas risquer d'arriver plus tard encore à son travail. »
Si vous cherchez du rêve et de l'espoir, reportez votre lecture de ce livre à plus tard. Mais ne vous en privez surtout pas, vous passeriez à côté d'un roman contemporain à la qualité indéniable, très touchant, qui nous tient en haleine jusqu'aux toutes dernières lignes.

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC News Magazine de juillet 2011 et sur le site Internet du BSC News.

22 août 2011

Chronique "Rouge majeur", Denis Labayle



« Ma peinture se situe, comme ma vie, dans un espace étroit entre l'ordre et le chaos. Je fuis le stable, le simple, toujours trompeur. Il y a quelque chose de mort dans le parfait défini. L'art doit être recherche, aventure, instabilité. Une toile réussie est une toile qui bouscule l'esprit jusqu'au vertige. Sans vertige, pas de génie. Comment pourrais-je atteindre le hasard en m'entourant de certitudes ? Regardez, chez moi, tout est déchirure... J'aime le chaos ordonné. »
Rouge Majeur est un roman inspiré d'une histoire réelle et tragique, celle du talentueux peintre de la France d'après-guerre, Nicolas de Staël.
L'histoire commence le 5 mars 1955 tandis que Nicolas de Staël assiste à un grand concert à Paris. Complètement bouleversé par la musique d'Anton Webern, le peintre décide d'exprimer en peinture ses émotions à travers ce qui sera l'œuvre de sa vie, une immense toile qu'il nommera "Le Concert", et dans laquelle il souhaite célébrer nos sens, peindre son impression musicale, son ressenti. « Je veux que l'œil entende. » Un projet audacieux par lequel le peintre compte marquer une véritable rupture.
Mais l'histoire se termine prématurément dix jours plus tard lorsque le jeune peintre au sommet de sa gloire se suicide, laissant sa dernière œuvre inachevée. Denis Labayle a voulu imaginer ces dix derniers jours de la vie de l'artiste, et c'est là que les faits réels cèdent la place au roman.
Jack Tiberton est pigiste depuis six ans pour la rubrique culturelle du Washington Tribune lorsqu'on lui propose enfin sa première vraie mission : une enquête à mener en France sur le célèbre peintre Nicolas de Staël. Une proposition qui ne se refuse pas pour ce journaliste ambitieux.
De la rencontre entre les deux hommes va naître une relation privilégiée. Le peintre propose à Jack d'être présent tout au long de la réalisation de son oeuvre, d'être son ange gardien en quelque sorte. Une expérience bouleversante et enrichissante pour le jeune journaliste qui découvre la sensibilité exacerbée de l'artiste, sa solitude extrême, ses angoisses, son désespoir, ou encore sa quête obsessionnelle de l'absolu.
« A mesure qu'il progresse, l'espace se modifie, la toile prend une force de plus en plus incandescente. Et moi, discret, j'assiste en première loge à l'alchimie de l'art. Pour la première fois, j'ai l'impression d'entrer, par effraction, au cœur du mystère de la création. »
Rouge majeur est un véritable coup de cœur. La plume délicate et poétique de Denis Labayle nous emmène au cœur même de la création artistique sous tous ses aspects et de la solitude de l'artiste, là où naissent les élans et les doutes, les émotions les plus intenses et les plus ravageuses. « A l'origine de toute œuvre majeure, il y a un grand bonheur et, en même temps, une grande douleur. Un mélange des extrêmes, une jouissance meurtrière. »
A travers ces dix jours fictifs mais possibles de la vie de Nicolas de Staël, l'auteur nous livre un roman passionnant, dans l'ambiance du Paris d'après-guerre qui renaît de son agonie malgré les traumatismes encore présents dans les mémoires.
Une très belle découverte.
Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC News Magazine de juillet 2011 et sur le site Internet du BSC News.