De moi, vous dire..

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Paris, France
Ma vie, c'est du bonheur à ne plus savoir qu'Enfer. Journaliste littéraire et culturelle pour le BSC News Magazine, je suis une passionnée, amoureuse de la vie et boulimique de mots. Ceux que je dévore à travers mes très nombreuses lectures, et ceux qui se dessinent et prennent vie sous ma plume. Je travaille actuellement à l'écriture d'un roman, d'un recueil de poèmes ainsi que d'un recueil de tweets. A mes heures perdues, s'il en est, j'écris des chansons que j'accompagne au piano. Mon but dans la vie ? Réaliser mes rêves. Work in progress... LES TEXTES ET POÈMES PRÉSENTS SUR CE BLOG SONT PROTÉGÉS PAR LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE (COPYRIGHT).

25 janv. 2013

'Le premier oublié', Cyril Massarotto




« - Bonjour, maman.

- Qui êtes-vous ?

Ainsi, mon univers a basculé : en une phrase, je suis devenu le premier oublié. »

Des souvenirs qui filent, s’embrument, toute une vie qui s’échappe, des liens qui réinventent leur nature, des instants sur lesquels le temps n’a plus de prise, des attitudes soudainement libérées des conventions sociales, imbibées de la spontanéité d’une enfance à jamais égarée…

Il a suffit d’un « vous » pour que Thomas comprenne que tout était en train de basculer. Un « vous » prononcé par sa mère, comme une gifle en plein visage. Quelques heures plus tôt, il était encore son fils. En l’espace d’une nuit, il était devenu un étranger.

Face à l’évidence de la maladie qui s’installe : le déni, l’envie de fuir, de contourner la réalité, de sourire… à la folie, pour ne pas souffrir. Pas tout de suite. Moins, peut-être.

« - Tu te rends compte, j'ai cru que ton père s'appelait Max, j'ai même cherché le prénom Max dans mon téléphone !

- Mais enfin, maman, Max est bien le prénom de papa !

- Ah, tu me rassures, je ne suis pas folle alors ! C'est encore ce foutu portable qui...

- Maman, papa est mort l'été dernier. »

Cyril Massarotto nous offre ici un regard croisé sur la maladie d’Alzheimer. Deux voix se font entendre à tour de rôle. Celle de Thomas, confronté à l’état de sa mère face auquel il se sent désarmé, impuissant, révolté, et celle de Thomas encore, mais qu’il prête cette fois à sa mère. Il exprime ainsi ce qu’il pense être ses angoisses à elle, ses interrogations, sa colère face à sa propre vie qui lui fait faut bond, ses mots. Des répliques touchantes, parfois brutales, qui nous plongent avec beaucoup de pudeur, de tendresse, et une pointe d’humour, au cœur de la maladie.

On rit quelques fois, et puis on a les larmes aux yeux devant cette mère et son fils qui se débattent avec la maladie, elle luttant contre l’oubli qui ne cesse de gagner du terrain, suppliant Alzheimer de ne pas lui voler tous ses souvenirs, de lui en laisser quelques-uns au moins, même les moins bons, et lui profondément bouleversé par les sentiments qu’il ressent, par cette mère qui ne le reconnaît pas, ces repères qui n’existent plus et cet amour brutalement mis à l’épreuve.

« Je ne sais plus si je l’aime.

Quand je vois cette enveloppe qu’on maintient en vie, je ne sais plus ce que je ressens. Cette sensation est insupportable, elle me dégoûte, je me dégoûte.  (…) tu es quoi alors ? Quand on n’est ni mort ni vivant, qu’est-ce qu’on est ? Qu’est-ce que tu es, maman ? »

Un livre poignant, qui nous chahute.

Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Janvier 2012  

19 janv. 2013

'A la santé d'Henry Miller', Olivier Bernabé



« Le passé ne doit pas être un refuge facile, pratique, qui se transforme en réalité encombrante, en piège, un lourd fardeau qui plombe l'existence, le maléfice de la lucidité. Le passé est le passage vers le présent. L'imagination se ballade, flirtant entre la mémoire et l'oubli. Comme le courage et la lâcheté, si proches qu'ils finissent par se confondre, le souvenir et l'oubli n'ont d'autre solution que de cohabiter, devenir complices. Tout repose dans le dosage. C'est un peu le sens de mon histoire. »

Il est des rencontres comme des séismes, capables de faire s’effondrer les fondations de toute une vie. Pour un sourire, un visage, quelques mots, une simple présence, c’est parfois tout un univers qui bascule. Pour un lien qui ne s’explique pas, pour une destination inconnue, pour une incertitude, on a envie de se perdre, de quitter le confort rassurant d’un quotidien sans surprise, de se mettre en danger.

C’est au cours d’un mariage auquel il est invité que Balthazar Saint-Cene, antiquaire de renom sur la place de Paris et quarantenaire misanthrope, rencontre Alma, une femme mystérieuse et troublante à laquelle il se sent immédiatement lié sans toutefois parvenir à définir la nature de ce lien. Elle dit être son ange gardien, s’échappe sans qu’il n’ait le temps de la retenir puis lui revient, évanescente… Elle sait tout de lui. D’elle il ne sait rien. Pourtant, cette fascination, ce besoin irrépressible et soudain de ne plus s’en séparer. « Il nous fallait rattraper le temps perdu, réparer l'injustice de ne pas s'être rencontrés avant, bien avant, depuis le début, depuis toujours... » Est-elle seulement réelle ? On en doute parfois.

Entre curiosité, obsession et remise en question, Balthazar décide alors de tout quitter – femme, enfant et activité professionnelle -, pour enfin peut-être se trouver lui-même. Car au-delà de cette Alma – à la fois si proche et si inaccessible - dont il veut suivre la trace et percer les mystères, c’est avant tout sur celle de sa propre existence qu’il se lance. 

« Qu'est-ce que j'allais en faire, de cette liberté ? Peut-être revenir au point de départ ? Est-ce que tout est inscrit quelque part ? Peut-on modifier même une petite ligne de ce qui définit ce que nous sommes, et ne cessons jamais d'être ? »

Tout au long de ce qui se révèlera être une véritable quête initiatique, Balthazar – en proie à ses propres contradictions et à un passé douloureux - se livre à un dialogue intérieur avec sa conscience, incarnée par Henry Miller. Choix évidemment judicieux que ce romancier américain qui se voulait en recherche perpétuelle de sa pleine libération, aspirant à l’intensité dans la vie comme dans l’art. L’œuvre d’Henri Miller – sujet à de nombreuses controverses – combat le puritanisme anglo-saxon et fait l’éloge d’une sexualité libérée dont il est beaucoup question au début de ce livre notamment.

La légèreté et l’écriture parfois crue des premiers chapitres cèdent peu à peu la place à un fond plus énigmatique et profond, teinté de nombreuses interrogations, et abordant avec beaucoup de justesse la complexité des liens familiaux, notamment le lien père-fils à travers la relation entre Balthazar et son père : « D'amour pur et simple, il ne fut jamais question... On ne peut obtenir de ce type d'homme, ni effusion, ni tendresse. J'en ai pleuré souvent, même si j'ai du mal à l'avouer (...) Aujourd'hui encore, je conserve de mon enfance une boule douloureuse dans le creux du bide, et un ganglion rouge, même en été. »

Olivier Bernabé nous offre un livre bavard mais néanmoins captivant et touchant, aux personnages fouillés et attachants. Aussi, malgré les quelques longueurs que l’on pourrait lui reprocher, les rebondissements nombreux nous mènent avec rythme jusqu’à un dénouement surprenant.

On suit avec intérêt l’évolution de cet homme bien décidé à trouver les pièces manquantes du puzzle de sa vie et à les assembler dans le bon ordre. On s’approprie certains de ses questionnements, ses doutes, ses craintes, ses raisonnements. On sourit, on réfléchit, et c’est un peu à contrecœur qu’on le quitte, ce Balthazar…


Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Janvier 2012 

13 janv. 2013

'L'armoire des robes oubliées', Riika Pulkkinen




« Vous pouvez sortir de votre vie sans adieux, sans explications. Il est possible de franchir le seuil, de laisser l'autre pleurer, crier, rester couché par terre dans l'entrée pendant des jours entiers. Il est possible de dire "à demain", tout en sachant qu'il n'y aura jamais de rendez-vous. »

Elsa est malade depuis six mois, victime d’un cancer foudroyant. Elle vit ces derniers moments avec insouciance et légèreté, entourée de ses proches qui tentent au mieux de dissimuler leur chagrin. Il y a son mari, Martti et sa fille Eleonoora.

Il y a aussi Anna, la fille d’Eleonoora, rêveuse et pleine de vie. Anna qui aime par-dessus tout se promener dans le tramway avec son grand-père, un peintre célèbre, et inventer une vie aux passants qu’ils observent ensemble.

Et puis, une robe oubliée dans un placard, retrouvée par hasard. Un souvenir qui ressurgit. Un drame qui a laissé une empreinte silencieuse au sein de sa famille. Un secret dissimulé derrière le mariage apparemment heureux de ses grands-parents, qu’Anna va faire ressurgir.

Qui est cette Eeva dont elle n’a jamais entendu parler et à qui appartiendrait cette robe ? La femme qui gardait sa mère lorsqu’elle était enfant, dans les années 60, lui dit-on. Mais à mesure que le passé se dévoile, Anna comprend que cette Eeva a joué un rôle bien plus important dans la vie de ses grands-parents, et surtout dans le cœur de son grand-père…

Ce livre est une petite merveille de douceur et de poésie. La plume de Riika Pulkkinen est d’une telle musicalité que chaque phrase semble nous imprégner d’une mélodie qui ne nous quitte plus. Une sensation renforcée par le choix de l’auteur de donner aux protagonistes féminins des prénoms et diminutifs sonnant en A.

Avec détail et habileté, elle nous transporte d’une mémoire à l’autre, d’une époque à l’autre, sans jamais nous perdre, pour reconstruire des souvenirs que le temps et les mensonges ont altéré.

« Les murs nous préservent, la nuit nous protège. Tout a déjà commencé, tout avait commencé lorsque j'ai sonné à la porte, tout avait commencé lorsque j'ai franchi le seuil. Tout avait commencé déjà bien avant. Tout est aussi vieux que le temps. »

On se projette sans mal dans chaque scène, tant le décor et l’émotion sont retranscrits avec précision et sensibilité. L’auteur nous promène délicatement à travers les différents stades de l’amour ; du simple confort dans lequel nous plonge la présence de l’autre, notre gestuelle que l’on détaille à son attention, les rêves que l’on nourrit, jusqu’à sa personne que l’on est capable de voir dans sa totalité.

Les mouvements du cœur, de l’âme, de la vie, y sont dessinés telles des notes sur une partition. La mort qui guette, qui s’approche, qui frappe, rassemble puis sépare ; l’amour qui naît, qui s’impose, qui s’embrase, qui fuit, unit ou détruit. Il est aussi beaucoup question de l’enfance, de l’innocence, de l’Art, du temps qui passe…

On sort de ce roman avec comme seule envie celle d’y revenir, de prolonger encore un peu le voyage. Un très beau moment de lecture, comme une parenthèse dans le temps.

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Janvier 2012 
 

3 janv. 2013

'Patients', Grand Corps Malade



« Je sors tout juste de l’hôpital où j’étais en réanimation ces dernières semaines. On me conduit aujourd’hui dans un grand centre de rééducation qui regroupe toute la crème du handicap bien lourd : paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés… Bref, je sens qu’on va bien s’amuser. »
Le ton est donné. Fabien Marsaud, plus connu sous le nom de Grand Corps Malade, nous raconte son quotidien en centre de rééducation alors qu’il se retrouve tétraplégique à la suite d’un plongeon dans une piscine pas assez remplie. Un accident particulièrement tragique lorsqu’on a 20 ans et que l’on rêve d’une carrière sportive de haut niveau. Une vie toute entière bouleversée. Des années d’insouciance volées. Un avenir à réécrire.
Pourtant, bien loin de s’apitoyer sur son sort, celui que l’on connaissait jusqu’alors pour ses talents de slammeur révélés dans trois albums depuis 2006 et récompensés par deux victoires de la musique en France et deux Félix au Québec, nous livre ici un témoignage inédit sur le handicap. Contre toute attente des médecins qui n’avaient aucun espoir de le voir remarcher un jour, le jeune homme à l’optimisme sans faille et au mental de résistant a finalement retrouvé une grande partie de sa mobilité, mais surtout son autonomie. Car, on le découvre au fil de ce récit émouvant, c’est bien là ce qui fait le plus cruellement défaut aux personnes privées de l’usage de leurs membres.
Des gestes de la vie quotidienne auxquels on ne penserait pas forcément tant on les accomplit machinalement, mais qui place les tétraplégiques dans un état de dépendance à l’autre et d’inconfort pratiquement constant. Marcher devient finalement un luxe auquel on ne pense plus, ou si peu, lorsque le simple fait de se gratter, se laver, de fumer, zapper, embrasser, ou encore faire ses besoins ne sont plus possibles seul…
C’est ce que Grand Corps Malade nous confie dans ce récit à la tonalité assez singulière qui n’autorise pas la pitié. Avec une habileté déconcertante, il use de son franc-parler mais aussi d’humour noir et de nombreuses anecdotes pour dédramatiser le handicap sans pour autant en minimiser la gravité. Il raconte le quotidien en centre de rééducation, les liens qui s’y créent, le rapport étroit avec le personnel soignant dont l’omniprésence est nécessaire, l’indélicatesse de certains d’entre eux, les minutes qui défilent en prenant tout leur temps, la gêne lorsqu’il lui est à nouveau permis de ressentir l’espoir, les idées reçues qui volent en éclat, son sentiment d’impuissance face à certaines souffrances qu’il côtoie, les moments de doute, les fou-rires aussi…
« J’avais un pote, à chaque fois qu’il s’apprêtait à sortir de la salle pour laisser entrer quelqu’un d’autre, il avait ce putain de réflexe, il disait : « Bon, je vais y aller, ne bouge pas, je vais dire au suivant qu’il peut entrer. » Ah ! Bah merci de me rappeler de ne pas bouger, j’allais justement faire quelques pas chassés dans le couloir… »
Ce livre est comme un pansement que l’on met sur une plaie, un éclat de rire sous la pluie, une lueur d’espoir en plein chaos. Il y est surtout question de courage, des moments de partage et d’ « en-vie » !
Ainsi, et contre toute attente, on rit – on sourit au moins – à chaque page ! Jusqu’aux larmes parfois ! Des larmes qui n’ont plus tout à fait le même goût à mesure que l’on s’approche de la fin et que le voile de l’humour se dissipe quelque peu, nous ramenant à une réalité plus douloureuse.
Une chose est sûre, la plume de Grand Corps Malade n’est pas capricieuse. Qu’il écrive en vers ou en prose, son encre est la même : un savoureux mélange de sincérité, d’émotions, de subtilité, de pudeur et de générosité.
Avec ce livre – qu’on ne lâche pas avant de l’avoir fini, soyez-en prévenu ! - Grand Corps Malade nous prouve une fois de plus qu’il est avant tout un grand cœur bien valide, et nous livre ici un témoignage émouvant et une touchante leçon de vie.

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Décembre 2012 (pages 127-128)

Interview Grand Corps Malade

'Grand Corps Malade'. Voilà un nom de scène pas banal ! Mais il n'y a, à vrai dire, pas grand chose de banal dans l'univers de Fabien Marsaud - de son vrai nom - et surtout pas son talent !

C’est en mars 2006, avec le titre ‘Voyages en train’, extrait de son premier album ‘Midi 20’, que l’aventure a démarré et que le jour s’est levé sur le slam, cette sorte de « prose poétique », discipline un peu sauvage qui évoluait alors discrètement, à l’abri de la médiatisation, dans des bars, dans la rue...
Le coup de cœur fut immédiat. « Coup d’âme » oserais-je même. Grand Corps Malade, ce sont des textes forts, sincères, aux mille nuances, souvent douloureusement lucides et à la fois gorgés d’optimisme, de ténacité, d’envie de vivre et de rêve ; c’est aussi une voix grave et singulière sur laquelle dansent les mots. Des mots justes, percutants, avec lesquels il joue, jongle d’une manière admirable, non sans une pointe d’humour. Cet enfant de la ville qui a choisi une vie de poèmes nous y parle – tous albums confondus - d’amour, du temps qui passe, des épreuves de la vie, de la puissance de l’écriture, de la paternité, ou encore du handicap…
Et c’est ainsi que, l’air de rien, sa béquille à la main, il a donné un souffle nouveau à la poésie en sortant les mots du silence, de la pénombre, pour les révéler à la lumière du monde.
Trois albums, quelques centaines de concerts et deux victoires de la musique plus tard, le succès est toujours au rendez-vous et le public fidèle. Un voyage en première classe de Saint-Denis jusqu’à Montréal pour ce virtuose des mots.
En vers comme en prose, Grand Corps Malade sait nous redonner espoir et nous fait croire en la magie. Car nul doute qu’il faut être un magicien pour manier les mots et les émotions avec autant de sensibilité et de subtilité. Ses textes – certains introspectifs, d’autres plus engagés - sont comme une main qui se tend pour nous aider à nous relever, un rayon de soleil timide perçant le brouillard,  un clin d’œil qui nous donne envie de sourire quand nos yeux sont remplis de larmes.
Aujourd’hui, ce poète des temps modernes qui anime des ateliers de slam jusque dans les écoles, les maisons de retraite et les prisons, a souhaité se livrer un peu plus en racontant – en prose cette fois, mais avec le même talent - cette période de sa vie où tout a basculé et qu’il évoquait jusqu’alors à demi-mots dans quelques-uns de ses textes.
Grand Corps Malade est un artiste authentique, amoureux de la vie. Ses textes sont le reflet exact de ce qu’il est : une personne humble, généreuse, simple et profondément altruiste. C’est à l’occasion de la sortie de son livre ‘Patients’, que j’ai eu l’honneur de le rencontrer.
« Dans l’obscurité j’avance au clair de ma plume », nous dit-il dans un de ses textes. Et une chose est sûre, c’est qu’il n’est pas le seul. On lui souhaite donc, autant qu’à nous, que cela continue encore longtemps !



Votre livre ‘Patients’ est sorti depuis maintenant une quinzaine de jours. Vous y racontez cette période douloureuse de votre vie qui a vu s’éteindre votre rêve d’une carrière sportive de haut niveau en vous confrontant au handicap. Pourquoi l’envie d’écrire ce livre maintenant ? S’agit-il d’une forme de thérapie, de deuil ?

Non. Le deuil est fait depuis longtemps, la page est tournée. Ce n’est pas une thérapie, mais peut-être que j’avais besoin de ce temps-là pour pouvoir en parler de manière assez sereine, le raconter sans trop d’affect ; pour pouvoir être observateur de cette période. Et en même temps, même si c’était il y a quinze ans, c’était un moment tellement important que les souvenirs restent assez frais.
Mais en tout cas ce n’était ni douloureux, ni salvateur, non. Je l’ai écrit avec beaucoup de plaisir mais avec du recul, presque froidement par rapport aux émotions. Et peut-être que, pour bien en parler, j’avais besoin de prendre cette distance et de raconter l’histoire presque comme si ce n’était pas la mienne. C’est sûrement aussi pour ça que, de manière inconsciente, j’ai laissé passer du temps.

Le slam, l’écriture en général, faisaient déjà partie de vos passions avant cet accident ou bien est-ce véritablement né à ce moment de votre vie ?

Ni l’un ni l’autre en fait. Cette passion-là est née après, ça n’a pas forcément de lien avec l’accident. A l’adolescence, j’ai écrit quelques textes, mais c’était anecdotique. Ça devait ressembler à du rap, mais comme les textes n’existaient pas à l’oral c’était plutôt des poèmes qui dormaient au fond d’un tiroir. Mais ce n’était pas du tout une passion. Le vrai déclic, ça a été quand j’ai découvert le slam en 2003. L’accident a eu lieu en 1997, donc il s’était déjà passé pas mal de temps. C’est avec le slam que j’ai commencé à écrire beaucoup, de manière presque pulsionnelle, passionnelle en tout cas.

C’est la première fois que vous abandonnez le slam pour vous aventurer ainsi dans la prose. Comment avez-vous vécu cette expérience ? Avez-vous rencontré certaines appréhensions, des inquiétudes ? 

Oui, j’avais des doutes avant de m’y mettre car je voyais le livre comme une montagne, justement par rapport au slam. Un texte de slam ça dure au final 3 minutes et ça peut s’écrire en 2h si on est inspiré. Un livre, on sait qu’on est dessus pour plusieurs mois. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai mis du temps à me lancer, je me demandais si j’allais y arriver.

Après, il fallait aussi trouver le bon angle. J’ai pas mal hésité sur la façon d’aborder l’histoire. Il y a un moment où j'avais presque envie d'en sortir, au sens propre : trouver un autre personnage, ne pas dire « je », pour essayer de garder un peu de pudeur… Je me suis demandé : est-ce que je ne raconterais pas plutôt l’histoire d’un aide-soignant qui découvre cet univers-là ? Et puis finalement, je me suis dit que ce serait quand même assez hypocrite, et puis aussi que ce serait moins fort. Je l’ai donc pris de la manière la plus simple, c’est-à-dire en racontant plus ou moins chronologiquement mon histoire, entre le premier jour et le dernier jour du centre de rééducation.
Et à partir de là, ça a été assez facile. J’ai écrit le livre en deux trois mois alors que j’étais en tournée et que je n’écrivais donc pas forcément tous les jours. Donc c’est allé assez vite une fois que je savais où j’allais. Aussi parce que ce n’était pas de la fiction, j’avais déjà l’histoire en tête.

Vous abordez le thème du handicap sur un ton complètement nouveau - puisque, finalement, à la lecture de votre livre on pleure plus de rire que d’autre chose – sans pour autant minimiser la gravité de ce que vous y racontez. Alors, l’humour comme carapace ? Ou bien est-ce une tentative de « dédramatiser » si j’ose dire le handicap afin de changer le regard des gens ?

Il y a peut-être un peu de tout ça à la fois... Je pense qu’on peut faire passer des messages, ou en tout cas raconter des choses graves, par le biais de l’humour, sans bien sûr que ça ne devienne de la moquerie.
Et puis, on parle de choses tellement terre à terre comme : comment on fait ses besoins ou comment on se lave quand on ne peut bouger ni ses bras ni ses jambes, que le fait de mettre un peu d’humour là-dedans, ça permet de garder de la pudeur. Et je pense que la raison la plus importante, c’est que j’ai beaucoup ri pendant ces six mois-là. C’est là que j’ai découvert le monde du handicap.
Parce que le premier mois, j’étais en réanimation. Et là je ne comprenais rien à ce qui se passait, j’étais sous morphine, alors même si j’étais conscient, je ne pensais qu’aux tuyaux qui étaient dans ma bouche en me disant « Vivement que je puisse respirer normalement ». Donc à ce moment-là, je n’étais même pas confronté au handicap, j’étais juste sur un lit. Quand je suis sorti de ces trois semaines-là, je suis arrivé en centre de rééducation et là j’ai découvert le monde du handicap.
Et il se trouve que dans ce premier centre, il y a eu de la vie en plus des difficultés.
 
Après, j’ai fait un autre centre dans lequel j’ai beaucoup moins ri, mais en tout cas dans le premier j’ai eu la chance de me faire des potes, on était une bande de mecs de 20 ans. Malgré le fait que ce soit une période très dure, très douloureuse, il y avait beaucoup de vie, beaucoup d’humour, et déjà entre nous beaucoup d’autodérision.
Du coup, puisque ça s’est vraiment passé comme ça, j’avais envie que dans le livre on ressente cet humour et cette vitalité, malgré les problèmes et les drames assez quotidiens qu’on croise là-bas.

Dans la chanson ‘Mental’, extraite de l’album Enfant de la ville, vous dites « Vivre c’est accepter la souffrance, la douleur, les échecs et les décès. Mais c’est aussi plein de bonheur, on va le trouver en insistant. Et pour ça faut du cœur, et un mental de résistant. » Vous parlez même de « belles épreuves ». Comment réussit-on à avoir un discours aussi optimiste et à maintenir l’espoir en vie lorsqu’on se retrouve dans une situation si tragique ?

Je ne sais pas s’il y a des mots pour expliquer ça, c’est une nature. Et c’est peut-être aussi qu’on n’a pas le choix. Où tu décides de lâcher l’affaire, où tu décides que demain, après-demain, l’année prochaine tu seras encore en vie donc autant faire en sorte que ça se passe bien et essayer de prendre les bons côtés tant qu’ils sont là, faire face aux mauvais côtés, les accepter… J’enfonce des portes ouvertes parce que je n’ai pas trop d’explications. C’est quoi être optimiste ? Pourquoi on est optimiste ? Je ne sais pas. Il se trouve que, oui, je l’étais déjà… Après, c’est plus facile d’être optimiste quand tu es bien entouré je pense.
 
La solitude, le manque de relations humaines, c’est quelque chose que je ne connais pas mais qui doit faire se renfermer complètement sur soi-même et faire perdre tout espoir. Mais quand on est bien entouré, qu’on a une famille proche, des potes proches, quand on est amoureux, tout ça crée une énergie qui permet de rester optimiste. Je n’insiste pas là-dessus car ce livre porte sur l’aventure collective de ceux qui ont cet handicap plutôt que sur ma privée. Je ne cite aucun prénom mais on sait que j’ai une copine, que mes parents sont derrière moi, je dis que j’ai des visites pratiquement tous les jours. Voilà, je tiens quand même à le dire parce que c’est important. Et si aujourd’hui j’arrive à voir cette période-là avec le sourire, c’est aussi parce que j’avais ce soutien.


Vous avez fait de nombreux duos, notamment avec Charles Aznavour, Calogéro, Kery James, ou encore Reda Taliani plus récemment. Vous avez également écrit une chanson pour Line Renaud, qui s’intitule ‘J’écris cette lettre’. Quelle a été votre plus belle rencontre artistique ? La plus marquante ? 

Un duo avec Charles Aznavour, forcément c’est une vraie fierté, surtout qu’il m’a demandé d’écrire ce duo. J’écrivais et il faisait la musique, ça a été une super collaboration, un beau moment. Et puis, être en studio avec Aznavour ça met une certaine pression !
 
Il y a aussi un duo qui n’existe pas encore mais qu’on a déjà fait au moins sur scène, c’est un duo avec Cabrel. Ca a été une super rencontre, parce que j’aime bien les duos qui ont du sens dans la musique, et certains n’en n’ont pas beaucoup. Là, avec Cabrel : on est dans le cadre des rencontres d’Astaffort, on est là pour écrire des chansons. Il se trouve que je suis le parrain des rencontres, il se trouve que lui est le créateur des rencontres, on est ensemble, je suis dans son village, sa place du village m’inspire une petite histoire, je lui propose l’histoire, il la trouve belle, on la fait mettre en musique par Ours, un des stagiaires des rencontres. Le but c’est de la faire sur scène à l’issu des rencontres d’Astaffort, devant les gens d’Astaffort.  J’écris le texte, Ours le met en musique, on va voir Cabrel chez lui pour lui jouer, lui proposer ; c’est un super bon moment, on est un peu comme des petits enfants, on se demande comment il va le prendre. Ours chante la partie de Cabrel, et puis on lui fait une deuxième fois, puis une troisième. Et là, la troisième fois, Ours s’arrête de chanter et c’est Cabrel qui commence à chantonner la partie !
C’était super beau, ça fera partie des bons souvenirs. Et si ce duo existe un jour sur un album, il aura une belle histoire.
 
Et puis aussi, j’ai écrit un texte, un slam pour un chanteur kabyle qui s’appelle Idir. C’est un peu le ‘Aznavour’ kabyle ! Il avait fait un album de duos plutôt urbain, avec plein de jeunes, et il m’avait proposé un duo. Il m’avait parlé d’un thème, mais ça n’avait aucun sens de le faire en duo. Donc je lui ai dit « je veux bien, avec grand plaisir ! Mais ma voix n’a rien à faire là-dedans. » Et du coup c’est le seul solo de son album !
Ce texte s’appelle ‘Lettre à ma fille’, et c’est un de ceux que je préfère et dont je suis le plus fier. Peut-être parce que ce n’est pas moi qui le dit mais Idir, avec son accent kabyle et sa fille au piano.

Vous êtes le parrain de l’association Sourire à la vie, créée en 2006 par Frédéric Sotteau et basée à Marseille ; une association qui accompagne tout au long de l’année une centaine d’enfants malades. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette association et sur le rôle que vous y jouez ?

Cette association fait un travail incroyable, vraiment remarquable. C’est du jamais vu en France. Elle accompagne les enfants presque au quotidien.
Il faut savoir qu’un enfant qui est en chimio ou en traitement lourd, il ne va pas à l’école, il est enfermé, il est à l’hôpital, donc il n’a pas une vie normale. Le but de cette association c’est de rendre la vie de ces enfants presque normale en essayant d’amener l’école, les activités à l’hôpital. Il y a aussi une grosse partie de préparation physique avec un préparateur physique de sportifs de haut niveau. Ça c’est pour le quotidien.
 
Et puis ensuite, chaque année, il y a de gros projets pour essayer de compenser un peu, d’équilibrer en se disant, voilà, ce sont des enfants, normalement ils n’ont pas le droit de vivre des choses aussi difficiles, et bien on va leur faire vivre des choses incroyables qu’à cet âge là, normalement, on vit rarement. Par exemple, l’association a réussi à les emmener faire du chien de traîneau au Canada. Et ça c’est du jamais vu ! Il y a des services de cancérologie qui, pour aller simplement au cirque, un après-midi, avec des enfants malades, ont du mal à avoir les autorisations. Eux, ils les emmènent une semaine au Canada ! Parce qu’ils ont travaillé main dans la main avec des médecins, des infirmières, et toute une équipe médicale qui évidemment les suit. Ils ont réussi à avoir la confiance des médecins pour concrétiser ce genre de projets un peu fous.
 
Cette année, 25 enfants sont venus à Paris pour faire un spectacle au Théâtre du Rond-Point. Ils ont travaillé dessus pendant un an, c’était un très beau spectacle, très émouvant. J’ai toujours défendu le fait qu’être parrain, ce n’est pas seulement avoir son nom sur l’affiche. En tant que parrain, j’estime avoir un rôle, devoir vraiment les aider, et je suis content parce que là j’y arrive. Je vais les voir trois à quatre fois dans l’année, j’ai participé à leur spectacle, j’ai mis mon petit grain de sel pour les aider, j’ai réussi à les faire participer à des galas de charité pour qu’ils puissent récupérer un peu d’argent, j’ai pu avoir la grande salle du Théâtre du Rond-Point sur les Champs Élysées pour le spectacle... Donc je me sens utile, ça fait du bien.

Si je vous parle de l’avenir, ça vous donne toujours envie de changer de chaîne ou vous pouvez-nous dire quelques mots sur vos projets pour les mois à venir ?

Toujours à court terme ! Je ne vois jamais l’avenir trop loin ! Là, on finit la tournée, encore une quinzaine de dates jusqu’au mois de février. On clôturera cette tournée marathon avec Kinchasa. L’idée c’est d’aller faire un grand concert là-bas, mais aussi d’y rencontrer un artiste assez connu, qui s’appelle Jupiter et essayer de créer quelque chose ensemble la veille ou l’avant-veille du concert. Un concert qui sera d’ailleurs sûrement enregistré car on n’a pas encore eu l’occasion de le faire sur cette tournée.
Et puis, il y a cet album que je commence à imaginer un peu et qui sortirait peut-être fin 2013. Forcément, il y aura une autre tournée qui suivra puisque c’est le but de chaque album, et c’est ce que j’aime le plus, la scène.

On peut s’attendre à quoi, justement, pour ce prochain album ?

Il y aura pas mal de duos. J’ai envie de faire des rencontres artistiques, et puis j’ai envie d’un album qui soit fait de petits défis, qui amène quelque chose de nouveau.  Il y en aura sûrement un avec Bohringer, parce que maintenant je le connais bien, c’est mon pote, c’est un mec un peu écorché vif. On va échanger avec nos deux visions sur le monde qui nous entoure.  

Il y aura un duo avec une petite chanteuse parfaitement inconnue qui s’appelle Nolwenn, qui est issue de l’association Sourire à la vie. Elle chantait dans le spectacle que les enfants ont donné à Paris il y a quelques jours. J’ai trouvé qu’elle avait une très belle voix, naturelle, du coup j’ai écrit un texte pour nous deux, je pense qu’il sera sur cet album.  J’aimerais faire un duo avec Tiken Jah Fakoly si on a l’occasion de se rencontrer. C’est un chanteur de reggae africain que j’aime beaucoup. Il n’est même pas au courant et je ne sais pas s’il aura le temps, mais je vais lui proposer un duo !
 
Et puis il y aura peut-être aussi un duo avec un rappeur parce que j’aime bien le rap. Donc voilà, l’idée ce n’est pas de ne faire des duos qu’avec des grandes stars, c’est de faire des duos qui ont du sens. Le but c’est d’écrire au maximum, même pour les autres. D’ailleurs, de temps en temps, je reçois des propositions pour écrire pour des chanteurs, des chanteuses. La dernière en date c’est Céline Dion. C’est une chanson sur la maternité qui s’appelle La mer et l’enfant, et qui sera sur son prochain album. 
Écrire pour quelqu’un c’est un exercice que j’adore faire, et plus l’écart avec mon univers est grand, plus ça me plaît ! Donc là, avec Céline Dion, je pense qu’on ne peut pas faire plus ! Entre le slammeur issu de banlieue et la plus grande star qui vit à Las Vegas, on est plutôt pas mal dans le grand écart !

Envie de vous prêter à nouveau au jeu de la prose ?

Je ne me sens pas du tout écrivain. L’histoire que je raconte dans ce livre, je savais depuis longtemps que j’allais la raconter. J’ai écrit ce livre car j’avais besoin de faire ce témoignage. Je ne m’étais jamais dit « Après j’écrirai d’autres livres ». Après, c’est sûr que j’ai pris beaucoup de plaisir à le faire, et je sais que ce n’est pas quelque chose d’impossible, alors il faut voir.
Pour l’instant, je n’ai aucun projet. Celui-ci vient de sortir, maintenant j‘ai envie de faire de la musique, j’ai envie d’être sur scène. Mais dans 3, 4, 5 ans, si j’ai une idée, une histoire à raconter, qui sait, peut-être que j’aurai envie de me remettre à cet exercice parce que c’est vrai que c’était assez agréable.

Propos recueillis par Mélina Hoffmann

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