« Sans
doute, la vie n’est-elle pas faite pour les adolescents. (…) ils l’inventent
pour la rendre semblable à eux mais l’illusion est brève. Lorsqu’ils
s’aperçoivent que cette vie rêvée est en rupture de stock pour la plupart des
dons qu’ils réclament d’elle, ils chavirent dans la mélancolie. Il n’est ni
facile ni plaisant de changer de peau, d’autant moins que la mue des hommes
s’accomplit à contresens, du papillon à la chenille, et que la perspective de perdre
ses ailes et d’apprendre à ramper n’est pas exaltante. Alors on refuse, on se
cogne contre les barreaux de la cage. »
C’est l’histoire de Monsieur Robert, cinquantenaire, veuf, mûr et lucide. C’est aussi l’histoire de Bob, adolescent inexpérimenté, bohème, empli de craintes et d’illusions.
C’est finalement l’histoire d’un homme à
l’intérieur duquel Robert et Bob se rencontrent, se découvrent, se heurtent
l’un à l’autre, tentent de cohabiter jusqu’au jour où la femme qu’il aime lui
propose de la rejoindre à Amsterdam. En proie à ses impulsions d’adolescent,
Monsieur Robert prend la fuite et se réfugie dans sa Bretagne natale pour prendre la mer sur son bateau. Surpris par le
mauvais temps, il devra alors résister à une tempête qui se révèlera plus intérieure
qu’extérieure…
Cette histoire est celle d’un homme, mais c’est
surtout le récit d’une naissance, celle qui survient au terme d’un long et
souvent douloureux cheminement vers soi-même, vers sa propre paix intérieure,
vers l’âge adulte. Un cheminement nécessaire pour apprendre à vivre avec soi, avec
les autres aussi. Parce que « C’est
bon, les autres, c’est chaud, c’est nécessaire. »
A travers les traits du roman, Paul Guimard décrit
le parcours initiatique que chacun de nous aurait la possibilité d’accomplir
pour réconcilier l’adolescent et l’adulte qui s’empêchent d’exister pleinement
l’un l’autre. Il s’agit de laisser s’éveiller cet Autre que nous cherchons sans
cesse ailleurs alors qu’il sommeille en nous, en chacun de nous, tout comme le
beau temps et le mauvais.
Oser laisser derrière soi l’enfant rempli
d’illusions et d’attentes irréalistes pour accepter enfin la vie telle qu’elle
est, jouir pleinement des instants de bonheur avec la conscience de leur valeur
et de leur impermanence qui les rend tellement précieux.
« Il faudrait parvenir à cette sagesse élémentaire de
considérer les ténèbres où nous allons sans plus d'angoisse que les ténèbres
d'où nous venons. Ainsi, la vie prend son vrai sens : un moment de lumière. »
C’est une lutte intérieure, un combat contre cette
partie de soi qui nous limite, nous fait fuir quand nous gagnerions à rester,
nous taire quand quelques mots pourraient tout changer, s’abstenir quand il
aurait valu la peine d’oser. Une « bourrasque intime » qui
fait chavirer l’être tout entier pour le forcer à nager plutôt que de se
laisser dériver par le courant.
Un roman métaphorique plein de tendresse, de
douceur et d’amertume, riche d’enseignements et de sagesse.
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans
le BSC NEWS MAGAZINE de Mai 2013