De moi, vous dire..

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Paris, France
Ma vie, c'est du bonheur à ne plus savoir qu'Enfer. Journaliste littéraire et culturelle pour le BSC News Magazine, je suis une passionnée, amoureuse de la vie et boulimique de mots. Ceux que je dévore à travers mes très nombreuses lectures, et ceux qui se dessinent et prennent vie sous ma plume. Je travaille actuellement à l'écriture d'un roman, d'un recueil de poèmes ainsi que d'un recueil de tweets. A mes heures perdues, s'il en est, j'écris des chansons que j'accompagne au piano. Mon but dans la vie ? Réaliser mes rêves. Work in progress... LES TEXTES ET POÈMES PRÉSENTS SUR CE BLOG SONT PROTÉGÉS PAR LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE (COPYRIGHT).

30 oct. 2012

'Lucienne', de Jean-Michel Berardi



« - EDMOND ! EDMOND !
Non, il est bien trop loin pour m'entendre ! Et puis, sait-il que je vais venir ?... Parfois j'en doute ! En ce moment, je le trouve bizarre, pas dans son assiette, préoccupé... Mais préoccupé par quoi ? Non, ce n'est pas préoccupé, c'est plutôt perdu, égaré... Ce ne serait pas surprenant parce que sous terre, il n'a plus de repère, plus de saison, plus de lumière... et pas de calendrier. »

Lucienne a 76 ans et n’a d’yeux que pour Edmond, son défunt mari que l’on jurerait vivant pourtant, tant elle le traite avec amour, respect, tendresse et bienveillance. Mais c’est bien au cimetière de son village qu’elle lui rend visite chaque jour, lui raconte son quotidien, lui confie ses angoisses, lui livre son regard sur le monde moderne et ses travers, l’interpelle, interprète ses silences ou lui prête des répliques… Une bouleversante relation qu’elle ne partage pas, n’ayant ni enfant, ni personne pour s’occuper d’elle.

« Le silence, c'est comme une cage que l'on construit autour de soi, petit à petit, barreau après barreau et si le silence dure trop longtemps, quand on veut en sortir, on ne peut plus ! (…) Il y en a qui se résignent et qui se taisent pour toujours, il y en a d'autres qui se mettent à crier, et d'autres qui partent. Il y en a qui vont voir le docteur et qui prennent des pilules pour moins penser, et encore d'autres, comme moi, qui parlent dans leur tête... à des morts au cimetière... »

Lucienne est une vieille dame attachante et dotée d’un sacré caractère, qui nous fait rire et nous émeut tout à la fois, entre sa gentillesse, ses coups de colère, ses réflexions sur la vie et les souvenirs qu’elle évoque pudiquement. D’abord enfermée dans cet amour qui semble avoir survécu à la mort et qui continue à prendre toute la place, nous l’observons revenir lentement à la vie, sa propre vie.

Peu à peu, son regard change sur ce qu’a été son existence, sur ce à quoi elle aspire. Elle ouvre les yeux sur la monotonie de son quotidien, sur sa relation avec Edmond aussi, redécouvre l’espoir. Elle rencontre alors Joseph, un clochard qu’elle accueille chez elle. Au fil des jours elle se surprend à penser à lui, à apprécier sa compagnie, une compagnie différente de celle d’Edmond. Une compagnie qui ressemble davantage à une présence. Des sentiments dont elle se sent d’abord coupable, desquels elle se justifie, s’excuse presque !

« (...) Je me demande s'il ne tourne pas jaloux que je m'occupe de Joseph... Je ne lui en ai même pas parlé mais c'est vrai qu'en ce moment, je pense autant à l'un qu'à l'autre et c'est bien la première fois que ça m'arrive... Il doit le sentir... ou alors c'est moi qui change. Il faut dire que Joseph, même s'il ne parle pas, il est là, vivant, il vient, il part le matin, il rentre le soir et ce n'est pas le cas d'Edmond !... Pourtant, ce n'est pas parce qu'il est mort que je dois l'oublier... Mais sans l'oublier, il y a peut-être de la place pour deux... »

Et puis, quand par un beau matin Joseph décide de partir sans prévenir, Lucienne, bouleversée, prend alors des décisions qui donneront à sa vie une tout autre tournure…

Jean-Michel Berardi nous offre ici une histoire touchante, débordante d’humanité, qui nous hante longtemps. On sourit, on rit aussi parfois, mais toujours avec quelques larmes hésitantes au bord des yeux. On aime Lucienne, cette veille dame qui en symbolise tant d’autres et nous semble si familière. On voudrait la protéger, la rassurer, lui rendre un peu de cet amour qu’elle distribue sans compter. Lucienne est bien plus qu’un personnage de roman, vous le comprendrez en refermant la parenthèse de douceur qu’est ce livre.

Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC News Magazine d'Octobre 2012 (pages 106-107)

23 oct. 2012

'L'écho des silences', d'Heather Gudenkauf


« Ses yeux vides d'expression sont levés vers moi et son visage en plastique est figé dans un demi-sourire. Je tends la main vers la poupée et je la prends. Elle est vieille et abîmée, on dirait qu'elle sort d'une poubelle. Sur son torse nu, on a écrit deux mots au marqueur noir, deux mots qui, je le sais, me suivront désormais partout, où que j'aille. Tueuse d'enfant. »

Allison a 16 ans lorsqu'elle entre en prison pour y passer le reste de son adolescence. Elle avait pourtant tout pour réussir et de nombreux projets, si seulement il n’y avait pas eu ce faux-pas, cette « erreur de parcours » qui s’était transformée en véritable tragédie et avait tout fait voler en éclats… Tueuse d’enfant : des mots qui la suivaient désormais comme son ombre. 

C’est une jeune femme fragilisée qui sort de prison cinq ans plus tard. A 21 ans, Allison a tout à reconstruire, et la volonté de le faire.
Elle retourne à Linden Falls, la ville de son enfance, dans l’espoir de se réinsérer dans la société et de renouer avec ses parents, mais surtout avec sa petite sœur Brynn, qui l’adulait. Mais le retour à la vie extérieure n’est pas simple. Rejetée par ses parents trop meurtris, ignorée par sa petite sœur traumatisée par ce drame et considérée comme un monstre par de nombreuses personnes, Allison doit puiser au plus profond d’elle-même la force de se relever sans cesse et de s’imposer dans un monde qui semble ne plus vouloir d’elle. 
Et puis il y a ce silence oppressant qui l’unit à sa sœur et à deux autres femmes, Charm et Clair. Un silence qui abrite de terribles secrets et qu’il lui faut préserver à tout prix. Car à quoi bon remuer un passé déjà si lourd de drames alors qu’elle se trouve à l’aube de son avenir. Surtout quand le destin d’un petit garçon est en jeu…

Mais le silence résonne parfois si fort qu’il finit par se rompre et se répandre dans un vacarme.  

Heather Gudenkauf nous offre ici un polar captivant et émouvant qui réussit – et c’est assez rare pour être précisé – à nous surprendre par une intrigue dramatique originale et parfaitement maîtrisée, sur un sujet pour le moins dérangeant.
Les personnages – à la psychologie travaillée - prennent tour à tour la parole dans de courts chapitres pour mieux nous tenir en haleine jusqu’à un dénouement aussi bouleversant qu’inattendu. On ne cesse de se poser des questions sur les intentions de chacun des personnages, sur les véritables liens qui les unissent, on s’interroge sur ces secrets que chacun se donne tant de mal à préserver, on doute… Et c’est avec une compassion mêlée d’angoisse que nous suivons le parcours d’Allison, héroïne touchante, attachante et courageuse, confrontée aux rebondissements et aux choix les plus délicats.

Un livre qu’on dévore plus qu’on ne le lit, et qui fera, c’est certain, le bonheur des amateurs du genre. Une belle surprise !

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC News Magazine d'Octobre 2012 (pages 104-105)

10 oct. 2012

'Les amants du n'importe quoi', de Florian Zeller



« En bas de l'immeuble, Tristan pense à Amélie. Il se dit qu'il va la tromper ce soir, que ce sera la première fois. A-t-il réellement cru, un jour, qu'il parviendrait à se défaire de cette folie qui le pousse de fille en fille ? Au début, peut-être ; mais les débuts ne veulent rien dire, les débuts mentent. »
Amélie aime Tristan. Tristan aime Amélie... et aussi toutes les autres femmes. Pourquoi n'être qu'avec une seule quand on les désire toutes ? Il avait pourtant cru qu'avec elle les choses pourraient être différentes, qu'elle pourrait le faire sien ; il l'avait même laissée s'installer dans sa vie, ébloui par la passion et la magie d'un amour naissant.
Mais Tristan est rapidement rattrapé par sa vraie nature, son immaturité sentimentale. Le jeune homme est en proie au doute. Se sent-il vraiment prêt à renoncer à toutes ces autres femmes qu'il pourrait aimer ? Désire-t-il vraiment devenir l'homme d'une seule d'entre elles ? Ne devrait-il pas plutôt quitter Amélie ? N'est-il pas prisonnier de sa tendresse à son égard ?
Et puis, alors qu'Amélie est en déplacement, il rencontre O. à une soirée et ne résiste pas à ce goût - désormais interdit - de liberté. Pourtant, prisonnier de sa tendresse à l'égard d'Amélie, il ne parvient pas à prendre la décision de la quitter. Comment pourrait-il la faire souffrir ainsi, la décevoir, la laisser telle une orpheline, elle, si fragile, qui ne semble exister qu'à travers son amour pour lui.
« Il lui suffisait d'imaginer Amélie en larmes pour désamorcer toute envie immédiate de rupture. Lui dire quoi ? Qu'il n'était pas heureux ? Qu'il avait besoin de retrouver sa liberté ? Et qu'en ferait-il, de cette liberté retrouvée ? Sans doute repartirait-il à la conquête de la vie. Mais à elle, que lui resterait-il ? Rien. Il était devenu un élément de son identité. Partir, c'était abandonner une enfant sur le bord de la route ; c'était lui couper les vivres. »
Ce court et oppressant roman nous entraîne dans les affres de ce sentiment diffus, intense, incontrôlable, instable et déraisonné qu'est la passion. Une passion qui plonge peu à peu nos deux amants dans l'impasse la plus totale, dans le "n'importe quoi", jusqu'à une rupture aussi inévitable qu'impossible.
Doutes, peurs, espérance, culpabilité, dépendance, jalousie, trahison, lâcheté, attendrissement, peur de l'attachement, crainte de l'abandon, domination de l'autre, non-dits, promesses sans lendemains... Florian Zeller explore avec simplicité et poésie les nombreux pièges insidieux de la passion, obstacles non avoués à la relation amoureuse.
Et puis quelques interrogations en filigrane : l'amour s'arrête-t-il là où la tendresse commence ? Peut-on renoncer à soi-même pour un(e) autre ? Peut-on accepter d'aimer dans la souffrance ? Des questions auxquelles Tristan trouvera peu à peu ses réponses.
Nous assistons ainsi avec angoisse et désillusion à la valse fugace et cruelle de deux êtres en perdition qui, à défaut de savoir s'aimer, finissent par se détruire l'un l'autre.
Un roman ô combien contemporain...
Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC News Magazine de Septembre 2012 (pages 142-143)

2 oct. 2012

'Mailles à l'envers', de Marlène Tissot

« Je regardais les paysages défiler, sagement assise sur la banquette arrière ; L’herbe, sur le bord de la route, faisait des dessins flous comme un film en accéléré. Je retenais ma respiration pour essayer de ralentir tout ça. Freiner un peu ma vie qui se tricotait. Trop de mailles à l’envers, pas assez à l’endroit. Je savais bien que fermer les yeux ne servait à rien. C’était un peu comme éteindre la lumière pour camoufler le désordre. »

Elle n’a pas de nom, elle est « un accident » comme ils disent, non désirée et pourtant bel et bien là. Debout au milieu des décombres d’une famille à l’agonie.

Mailles à l’envers est le récit douloureux d’une vie abîmée, totalement désertée par la magie. Celle d’une enfant confrontée trop tôt aux désillusions, et qui tente de s’accrocher de toutes ses forces à l’enfance. Pas la sienne, non, celle qu’elle aurait aimé avoir plutôt, celle dont elle rêve encore un peu parfois, à peine.
Car on ne s’accroche pas à une enfance aussi sordide, faite de misère, de taudis crasseux, de parents drogués et alcooliques, d’adultères…

Difficile de peindre tableau plus sombre, et pourtant, on ne chavire pas pour autant dans le tragique ni dans une tristesse sans fond. Il y a, au contraire, dans l’ironie et la rage de cette enfant malmenée, quelque chose qui nous donne du courage et nous pousse à sourire. De la grâce.

« L’avenir se planquait dans le brouillard
j’avançais pieds nus sur le gravier tranchant de la vie
parfois l’insouciance succédait à l’angoisse
parfois
rarement
comme un truc qui cloche
un arbre en fleur dans le paysage
déchiqueté de mon intérieur. »

La plume de Marlène Tissot est tranchante, sauvage, impudique ; elle pleure le dégoût, l’amertume, la colère, le désenchantement. Les plaies sont à vif ; rien n’est embelli ni aseptisé. L’auteur écrit avec ses tripes, et il est vrai que cela peut déranger, à première vue, lorsqu’on n’est pas habitué à un style aussi cru. Mais derrière cette prose brute et brutale : de la poésie, par petites touches, dispersée ça et là comme des rayons de soleil un peu frileux tentant de percer un épais rideau brumeux. De l’espoir ? Du rêve ? Non, ou si peu. Il faut avoir gardé une dose d’innocence et de naïveté pour croire que tout finira par aller mieux. Les jours meilleurs n’existent pas.

« J’aurais aimé qu’un rayon de sommeil me dépose au pays des merveilles. Mais les nuits amènent rarement plus loin que les lendemains. »

Rien n’est linéaire dans ce récit. Ni son style, ni sa construction, qui ne respecte pas d’ordre chronologique mais se plie au gré des souvenirs de l’auteur, allant et venant à travers les différents âges de l’enfance. Un procédé habile grâce auquel l’auteur nous offre la possibilité de lire une deuxième fois son roman, en suivant l’ordre du temps cette fois.

J’ai pour ma part été complètement happée par la manière dont l’auteur jongle ainsi avec les mots, les styles, les époques, nous tenant en haleine d’un bout à l’autre. Et je dois reconnaître avec beaucoup d’étonnement et de plaisir que Marlène Tissot est parvenue à me faire apprécier un univers et un style auxquels je suis habituellement peu réceptive ! Sans doute parce qu’elle a sa façon bien à elle d’ajouter, du bout de sa plume, de petits éclats de douceur et de magie là où n’en attendait pas.

Une belle découverte, et un premier roman pour le moins prometteur !

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC News Magazine de Septembre 2012 (pages 140-141)