« Je
regardais les paysages défiler, sagement assise sur la banquette arrière ;
L’herbe, sur le bord de la route, faisait des dessins flous comme un film en
accéléré. Je retenais ma respiration pour essayer de ralentir tout ça. Freiner
un peu ma vie qui se tricotait. Trop de mailles à l’envers, pas assez à
l’endroit. Je savais bien que fermer les yeux ne servait à rien. C’était un peu
comme éteindre la lumière pour camoufler le désordre. »
Elle
n’a pas de nom, elle est « un accident » comme ils disent, non
désirée et pourtant bel et bien là. Debout au milieu des décombres d’une
famille à l’agonie.
Mailles
à l’envers est le récit douloureux d’une vie abîmée, totalement désertée par la
magie. Celle d’une enfant confrontée trop tôt aux désillusions, et qui tente de
s’accrocher de toutes ses forces à l’enfance. Pas la sienne, non, celle qu’elle
aurait aimé avoir plutôt, celle dont elle rêve encore un peu parfois, à peine.
Car on
ne s’accroche pas à une enfance aussi sordide, faite de misère, de taudis
crasseux, de parents drogués et alcooliques, d’adultères…
Difficile
de peindre tableau plus sombre, et pourtant, on ne chavire pas pour autant dans
le tragique ni dans une tristesse sans fond. Il y a, au contraire, dans
l’ironie et la rage de cette enfant malmenée, quelque chose qui nous donne du
courage et nous pousse à sourire. De la grâce.
« L’avenir
se planquait dans le brouillard
j’avançais
pieds nus sur le gravier tranchant de la vie
parfois
l’insouciance succédait à l’angoisse
parfois
rarement
comme
un truc qui cloche
un
arbre en fleur dans le paysage
déchiqueté
de mon intérieur. »
La
plume de Marlène Tissot est tranchante, sauvage, impudique ; elle pleure
le dégoût, l’amertume, la colère, le désenchantement. Les plaies sont à
vif ; rien n’est embelli ni aseptisé. L’auteur écrit avec ses tripes, et il
est vrai que cela peut déranger, à première vue, lorsqu’on n’est pas habitué à
un style aussi cru. Mais derrière cette prose brute et brutale : de la poésie,
par petites touches, dispersée ça et là comme des rayons de soleil un peu
frileux tentant de percer un épais rideau brumeux. De l’espoir ? Du
rêve ? Non, ou si peu. Il faut avoir gardé une dose d’innocence et de
naïveté pour croire que tout finira par aller mieux. Les jours meilleurs
n’existent pas.
« J’aurais
aimé qu’un rayon de sommeil me dépose au pays des merveilles. Mais les nuits
amènent rarement plus loin que les lendemains. »
Rien
n’est linéaire dans ce récit. Ni son style, ni sa construction, qui ne respecte
pas d’ordre chronologique mais se plie au gré des souvenirs de l’auteur, allant
et venant à travers les différents âges de l’enfance. Un procédé habile grâce auquel
l’auteur nous offre la possibilité de lire une deuxième fois son roman, en
suivant l’ordre du temps cette fois.
J’ai
pour ma part été complètement happée par la manière dont l’auteur jongle ainsi avec
les mots, les styles, les époques, nous tenant en haleine d’un bout à l’autre. Et
je dois reconnaître avec beaucoup d’étonnement et de plaisir que Marlène Tissot
est parvenue à me faire apprécier un univers et un style auxquels je suis
habituellement peu réceptive ! Sans doute parce qu’elle a sa façon bien à elle
d’ajouter, du bout de sa plume, de petits éclats de douceur et de magie là où
n’en attendait pas.
Une
belle découverte, et un premier roman pour le moins prometteur !
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC News Magazine de Septembre 2012 (pages 140-141)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire