« Je ne sais pas où l'anorexie cesse
et où je commence. Où elle prend sa source et où je m'assèche. J'ignore ce
qu'il restera de moi après elle. Certaines nuits me travaille l'idée qu'il est
des combats à ne pas remporter, sous peine de ne plus avoir de raison de rester
en vie. »
Lucie,
Véronique, Claire, Anne-Laure et Aurore : cinq jeunes femmes âgées de 20 à
30 ans qui ont réuni leurs plumes pour témoigner d’un même mal qui les ronge.
Cinq jeunes femmes qui ont accepté de mettre des mots sur ce dont elles
souffrent en silence depuis trop longtemps, ce calvaire quotidien dans lequel
elles tentent de survivre, jour après jour ; sur leurs vies entre
parenthèses. Cinq jeunes femmes pour lesquelles les compagnes les plus fidèles
s’appellent Anorexie et Boulimie.
Des
mots qui font peur, des mots qui - trop souvent encore - font fuir, dégoûtent
même. Des mots derrière lesquels, pourtant, se cachent souffrances, angoisses,
solitude, colère, jusqu’au désir d’en finir parfois, et d’autres fois sans que
le désir ne s’y invite… « Sans
relâche, je dois me battre contre moi pour me sauver d'un précipice où je me
jette. »
Ce
projet de témoignages croisés est né dans un hôpital il y a cinq ans, à
l’initiative de deux amies dont l’une d’elles, emportée par un arrêt cardiaque
des suites de la maladie, ne verra jamais l’accomplissement. « La vie est fragile, la sienne ne
tenait qu'à un fil. On ne m'avait donc pas menti, on peut mourir d'avoir eu faim
d'une autre vie. »
Chacune
de ces jeunes femmes nous livre sa propre expérience, son rapport personnel et
intime avec la maladie.
Nous
y découvrons la colère, la rage, la culpabilité, la honte, les rêves de
lendemains meilleurs, le froid qui les habitent. Mais, plus surprenant encore,
nous découvrons cette envie de vivre. Car, à l’inverse de ce que l’on serait tenté
de penser, l’anorexie et la boulimie ne sont pas pour ces filles une façon de
se détruire, mais bel et bien le seul moyen qu’elles ont trouvé pour se sauver,
pour vivre - en attendant mieux - dans un monde dans lequel elles se sentent à
l’étroit, ne trouvent plus leur place. « (...) subsiste en moi, quelque part, errante, la fille à qui
l'on avait tant promis. »
La
nourriture devient alors une façon d’exister au monde, un refuge, un langage
pour dire à qui se donnera la peine d’essayer de le comprendre :
« J'ai mal de moi. »
Ces
témoignages d’une bouleversante sincérité et empreints d’une surprenante
douceur, nous décrivent ce rapport au corps si douloureux et insaisissable pour
qui n’y a jamais été confronté. Des témoignages dont le but est également de
réduire à néant les préjugés qui entourent la maladie. Car non, anorexie n’est
pas forcément synonyme de maigreur excessive. Non, l’anorexie n’est pas la
conséquence d’un régime qui a mal tourné. Non, s’en sortir n’est pas une simple
question de volonté. Non, il ne faut pas être faible pour en être victime.
L’anorexie
et la boulimie sont des maladies extrêmement violentes et sournoises qui, par
l’illusion provisoire de contrôle et de confort qu’elles procurent, parviennent
à piéger les personnes les moins vulnérables à priori, les plus combattives,
les plus radieuses.
« Ce n'est pas une question de poids,
de quantité, de matière grasse, de miroir, d'os. L'anorexie m'a coupé l'appétit
pour une vie entière. »
Pour
Lucie, Véronique, Claire, Anne-Laure et Aurore , et tant d’autres femmes
et hommes confrontés à la maladie, s’impose pourtant la nécessité de garder le
goût de vivre, malgré tout ; trouver en ce corps épuisé la force de se
battre, de ne pas céder aux instants de découragement, inévitables. « Je n'en peux plus, de ce passé qui
court après moi, de ce présent que je ne saisis pas. » Car la boulimie et l’anorexie sont des maladies
épuisantes en cela qu’elles nécessitent un combat de chaque jour, de chaque
instant, puisque l’objet du mal – la nourriture – est toujours présent,
impossible à tenir à distance.
Un livre touchant et terriblement nécessaire. Ces
jeunes femmes sont de véritables exemples de courage et l’on souhaite à chacune
d’elle de parvenir au bout de cet effroyable combat.
Mélina
Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC News Magazine de Juillet-Aout 2012 (pages 92-93).
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