« Le cœur et l’estomac en marmelade, je me
dis que finalement, c’est peut-être ça la vie : beaucoup de désespoir mais
aussi quelques moments de beauté, où le temps n’est plus le même. C’est comme
si les notes de musique faisaient un genre de parenthèse dans le temps, de
suspension, un ailleurs ici même, un toujours dans le jamais. Oui, c'est ça, un
toujours dans le jamais. (...)
La beauté dans ce monde »
Renée a
54 ans. Elle dissimule son intelligence, ses lectures philosophiques et son
goût pour le cinéma japonais derrière une vie modeste et solitaire, son manque
d’amabilité, et sa télévision où défilent les programmes les plus ineptes. Elle
est la concierge d’un immeuble bourgeois au cœur de Paris, dans lequel elle vit
avec son chat.
Paloma a
12 ans et habite l’immeuble en question au 7 rue de Grenelle, dans une famille aisée.
C’est une enfant exceptionnellement intelligente, pourvue d’une grande
sensibilité, qui nourrit des interrogations existentielles ordinairement
réservées aux adultes. Elle vit avec ses parents et sa sœur, des êtres qu’elle
décrit comme « virtuellement riches » car superficiels et imperméables
à tous types d'émotions.
Paloma se sent incomprise et ne
veut pas de ce monde dans lequel elle voit les adultes s’ébattre péniblement,
pris au piège de leur incapacité à construire le présent qui les pousse à
toujours tout remettre au lendemain ; un lendemain qui finalement n’arrive
jamais puisqu’il finit par devenir présent. Paloma a donc pris une décision : « (...)
à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, le 16 juin prochain,
je me suiciderai. » En attendant, elle trouve un peu de réconfort dans
l'écriture.
Les deux
récits - celui de Renée et de Paloma - s’entrecroisent au milieu de longues et
passionnantes digressions philosophiques et questionnements métaphysiques
auxquels se livrent les deux femmes, qui souffrent chacune à leur manière dans l'indifférence
la plus complète. C'est un peu tardivement que les solitudes de ces deux êtres
finiront par se croiser et s’unir, grâce à l'arrivée d'un nouvel habitant dans
l'immeuble - Ozu, un japonais riche et cultivé - qui viendra redonner aux deux
femmes le goût du bonheur et de la vie.
Si ce
livre a suscité les éloges les plus flatteurs comme les critiques les plus
acerbes, je me placerai pour ma du côté des éloges, même si je comprends bien
volontiers ce qui a pu déranger certains lecteurs. "étalage de
culture", "prétention", "clichés"... Certes, Muriel
Barbery n'y va pas de main morte avec les réflexions et les références
culturelles, au point qu'on peut parfois avoir du mal à ne pas perdre de vue
Paola et Renée derrière ce "trop-plein" d'intelligence. Et si cela
peut donner un ton un peu pédant au récit et décourager le lecteur qui aspirait
à un moment de détente, j'ai trouvé que, loin de rendre cet ouvrage
inaccessible, cela lui donne une profondeur très intéressante. J'y ai vu une
véritable occasion d'enrichissement personnel et de réflexion. Au fil de ma
lecture, j'ai noté bon nombre de phrases qu'il m'arrive de relire pour y puiser
un peu d'espoir, de douceur et de réconfort.
Si cet
ouvrage est, je crois, à la portée de tous, c'est qu'on peut y déceler
plusieurs niveaux de lecture. Chacun trouvera le sien, et s'il est parfaitement
possible d'apprécier l'histoire sans comprendre toutes les références
culturelles qui s'y trouvent, une seconde lecture peut néanmoins être bénéfique
pour bien saisir toutes les nuances du récit et creuser ce qui a échappé à
notre compréhension.
C'est un
livre qui nous parle de la vie, de sa grisaille, des réalités les plus pénibles
: « Il ne faut pas oublier que le corps dépérit, que les amis meurent, que
tous vous oublient, que la fin est solitude. » Mais il nous parle aussi et
surtout de toutes ces petites éclaircies, de ces rayons de lumière qu'il faut
sans cesse traquer pour ne pas perdre espoir. L'Art, notamment, y est défini
comme source ultime de beauté et de bonheur, loin de la convoitise humaine qui
nous plonge dans une permanente insatisfaction.
Finalement,
il semblerait que l’intelligence - par la conscience éclairée des choses et la
tendance à la réflexion qu'elle permet - facilite l'accès à la souffrance
morale. L'intelligence qui, Muriel Barbery nous le rappelle avec ce livre, est
une maladie qui peut toucher les pauvres petites filles riches comme les
gardiennes d'immeubles pas franchement jolies et antipathiques ! Ouf !...
C'est
évidemment sur ce second point que les critiques négatives s'accordent. En
tentant de tordre le cou à certaines idées reçues, l'auteur saute à pieds-joints
dans d'autres clichés socio-culturels un peu irritants. Dommage ! Mais L'élégance
du hérisson (un titre à première vue étrange mais qui prend tout son sens au
fil de la lecture) n'en reste pas moins un livre émouvant et amusant qui,
derrière une apparence un peu sophistiquée et un langage intellectuel, nous
ramène finalement aux choses les plus simples et les plus belles.
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC News Magazine de Juillet-Aout 2012 (pages 94-95)
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