« - Notre première
expérience de vie, dans le ventre de notre mère, est une expérience solitaire.
Dès lors, toute son existence, on cherche l'Autre. Désespérément. On cherche
une âme soeur, une entière compagnie, comme pour soigner cette solitude
première, tu comprends ? Et puis les années passent, les illusions s'abîment,
et la vie nous apprend à nous préparer à retrouver cette solitude. Ainsi est le
sens de la vie : au contact d'autrui, il s'agit d'accepter qu'un jour nous
serons seuls à nouveau. Et l'accepter n'est pas une mince affaire, je te
l'accorde. Mais je crois y être parvenu. Je suis prêt. »
Il est des livres que l’on oublie aussi vite qu’on les a lus. Certains parviennent
à nous tenir en haleine jusqu’à un dénouement souvent décevant. Il en est
d’autres dont on tourne péniblement les pages dans l’attente d’un petit quelque
chose en plus qui n’arrive pas toujours. Et puis il est des livres, plus rares,
par lesquels on se laisse posséder, envahir ; des livres qui nous offrent
bien plus qu’un moment d’évasion ou de détente, avec lesquels se tisse un lien
étroit et dont l’empreinte résiste au temps.
Nul doute que L’Apothicaire appartient à cette dernière catégorie. Entre
le polar, le roman historique, le conte philosophique ou encore ésotérique,
Henri Loevenbruck a préféré ne pas choisir, et autant dire qu’il a bien fait !
Nous voilà donc immergés en 1313, dans le Paris médiéval de Philippe le
Bel et des Templiers où sévissent luttes de pouvoir et autres querelles
théologiques. Par un matin de janvier, Andreas Saint-Loup, fameux apothicaire
de la rue Saint-Denis, découvre dans sa demeure une pièce dont l’existence
semble avoir échappé à tous ses habitants. Tandis qu’il tente de trouver une
explication rationnelle à ce phénomène - rejetant toute interprétation mystique
ou religieuse - d’autres évènements étranges se produisent…
Comment des pans du passé peuvent-ils avoir échappé à la mémoire de
tous ? Et pourquoi les recherches d’Andreas Saint-Loup semblent tant
déranger certains hommes de pouvoirs bien décidés à le faire taire ? Soupçonné
d’hérésie et pourchassé par l’Inquisiteur de France, l’Apothicaire décide alors
de partir sur les traces de ce mystérieux passé et se lance dans une quête de
la vérité qui l’emmènera de Paris au Mont Sinaï, en passant par Saint-Jacques
de Compostelle. Tout au long de ce périple qui le mettra face à de nombreux
dangers, il pourra compter sur le soutien inconditionnel de son jeune apprenti,
Robin, ainsi que sur celui d’Aalis, une petite fille confrontée trop tôt aux
désillusions de la vie, dont les deux hommes croiseront le chemin.
Quelques pages suffisent pour se laisser envoûter par la plume fluide
et gracieuse de l’auteur, et par ce personnage d’Andreas Saint-Loup auquel on
sent bien que l’on va finir par s’attacher malgré la présentation plutôt
rugueuse qui en est faite : celle d’un être sombre, peu bavard,
impassible, solitaire, provocant, objet d’admiration et de respect. Un homme
d’esprit ; être singulier à l’histoire tout aussi singulière. On l’imagine
d’ailleurs sans peine cet Apothicaire – de même que l’ensemble des personnages
et des lieux évoqués – au gré des méticuleuses et souvent délicieusement
métaphoriques descriptions qui parsèment le récit.
« Ses yeux noirs,
soulignés de cernes épais, brillaient d'un reflet d'argent, comme si deux
petites lunes d'hiver, la nuit de sa naissance, étaient venues se graver à
jamais au bord de ses pupilles. »
A mesure que nous voyageons aux côtés de ces trois personnages terriblement
attachants, l’auteur s’adresse à nous et nous offre – dans une langue datée et
sublimée – de nombreuses digressions philosophiques qui nous emmènent dans les
tréfonds de notre être, là où sommeillent nos interrogations les plus
existentielles. Une construction narrative qui n’est évidemment pas sans
rappeler un certain Alexandre Dumas, auquel Henri Loevenbruck multiplie les
clins d’œil.
« Ce
besoin d'amour et de fraternité qui étreint même le plus vil des hommes
n'est-il pas la preuve de notre inextinguible quête d'un Autre qui nous fasse
oublier que nous ne sommes qu'un ? (…) Et
quand bien même on ne la trouve jamais vraiment, on continue, pourtant, de
chercher jusqu'au dernier instant cette personne qui n'existe pas, comme la
promesse d'un antidote qui saurait panser toutes les plaies de l'existence. »
L’Apothicaire fait partie de ces livres dont
on aime relire des passages, certains pour la sagesse qui
s’en dégage, d’autres pour la douloureuse réalité qu’ils expriment et à
laquelle il est parfois nécessaire de se reconnecter ; d’autres enfin pour
la simple beauté de mots juxtaposés dans une alchimie parfaite. C’est à se
demander si Henri Loevenbruck écrit avec un stylo ou avec un pinceau ! En
tout cas, il est certain qu’il est ici question d’Art, et le plaisir qu’a pris l’auteur
à l’écriture de ce livre est palpable et nous contamine jusqu’à un dénouement
surprenant.
Un dénouement en points de suspension toutefois, car si le livre se
termine, il n’en finit pas moins de nous hanter, point de départ de nombreux
questionnements sur le sens de la vie, la solitude, l’amour, ou encore la
mélancolie. Et si, à trop
chercher quelque chose ou quelqu’un qui, bien souvent n’existe pas, nous
finissions par nous perdre nous-même ? Et si, comme Andreas
Saint-Loup, à force de chercher à comprendre tout ce qui nous entoure, on
passait à côté de soi ?
L’Apothicaire est une œuvre érudite et passionnante - tant d’un point
de vue intellectuel qu’émotionnel – qui nous plonge dans une intrigue
palpitante derrière laquelle se dessine, en filigrane, une quête philosophique
et spirituelle des plus contemporaines. Un immense coup de cœur.
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans
le BSC NEWS MAGAZINE de Décembre 2011
Découvrez mon interview d'Henri Loevenbruck ICI.
Découvrez mon interview d'Henri Loevenbruck ICI.
Je suis tout à fait d'accord avec toi. Ce roman est excellent.
RépondreSupprimerMa critique complète se trouve ici:
http://www.christelle-pigere-legrand.com/l-Apothicaire-Henri-LOEVENBRUCK.php