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Ma vie, c'est du bonheur à ne plus savoir qu'Enfer. Journaliste littéraire et culturelle pour le BSC News Magazine, je suis une passionnée, amoureuse de la vie et boulimique de mots. Ceux que je dévore à travers mes très nombreuses lectures, et ceux qui se dessinent et prennent vie sous ma plume. Je travaille actuellement à l'écriture d'un roman, d'un recueil de poèmes ainsi que d'un recueil de tweets. A mes heures perdues, s'il en est, j'écris des chansons que j'accompagne au piano. Mon but dans la vie ? Réaliser mes rêves. Work in progress... LES TEXTES ET POÈMES PRÉSENTS SUR CE BLOG SONT PROTÉGÉS PAR LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE (COPYRIGHT).

11 avr. 2013

'La fabrique de malades - Ces maladies qu'on nous invente', Dr Sauveur Boukris



« Dans ce monde médico-industriel, on élargit les limites des pathologies, on médicalise les évènements de la vie et nos émotions, on joue sur nos peurs en dramatisant les enjeux de la politique de santé et les risques de maladie pour nous pousser à consommer davantage de médicaments, on effectue des bilans de santé pour dépister la moindre anomalie, qui sera ensuite source d’examens complémentaires et de traitements supplémentaires, on fabrique des maladies pour créer des malades devenus des consommateurs de soins. »

Depuis quelques décennies, la célèbre formule du docteur Knock « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ! » semble être devenue le leitmotiv de l’industrie pharmaceutique et autre divers acteurs de la médecine.

Jamais la médicalisation n’avait occupé une place aussi importante et aussi vaste dans nos vies quotidiennes. Dans ce livre au titre choc, le docteur Sauveur Boukris nous montre comment le moindre mal est désormais systématiquement traduit en symptôme voir directement en maladie – chronique si possible ! -, pour devenir la cible d’un traitement médicamenteux. La tristesse prend le nom de dépression, la timidité se change en phobie sociale, l’anxiété en spasmophilie… « Toutes les difficultés de la vie quotidienne sont supposées aujourd’hui appeler une réponse médicale. (…) La médicalisation du mal-être et la psychiatrisation de l’existence sont devenues une réalité. »

Il note également comment la moindre douleur, le plus petit trouble devient prétexte à d’innombrables examens, nous transformant dès lors en malades potentiels. Des douleurs que l’on n’attend parfois même plus pour enclencher la machine médicale puisque de nombreuses pathologies se voient aujourd’hui anticipées par des campagnes de dépistage et autre bilans médicaux sur des individus apparemment sains.


Quelles sont les limites de tels comportements ? Trop de prévention pourrait-il nuire à notre santé ? A quelles dérives l’excès de médicalisation nous expose-t-il ?

La médecine est une industrie comme les autres, avec ses objectifs de rentabilité, ses enjeux, ses stratégies marketing, ses mécaniques, à ceci près qu’elle génère des profits largement supérieurs à la plupart des autres industries. Tant et si bien qu’elle finit parfois par en oublier ce qui devrait être sa préoccupation principale, à savoir l’humain.

Ainsi, l’auteur souligne que le budget consacré au marketing représente souvent le double du budget consacré à la recherche et développement.
Il attire sans langue de bois notre attention sur les différents moyens déployés pour alimenter cette industrie. Il évoque notamment la manipulation de l’opinion publique par la surmédiatisation, la création de fausses revues spécialisées, le recours des firmes pharmaceutiques à des leaders d’opinion pour promouvoir les médicaments qu’elle produit auprès des médecins, ou encore la baisse des seuils de normalité qui fait inévitablement augmenter le nombre de malades potentiels - comme ce fut par exemple le cas avec le cholestérol ou encore l’hypertension artérielle qui a - de ce fait – vu son marché décupler en l’espace de trente ans.

Plus surprenant encore, il nous explique comment certaines maladies seraient créées pour satisfaire à la vente de nouveaux médicaments !
Des révélations plutôt inquiétantes mais nécessaires, qui nous invitent avant toute chose à la vigilance. Il ne s’agit pas de remettre en doute l’apport réel de la médecine et ses bénéfices incontestables, mais bien de nous inviter à ne pas transformer le souci d’une bonne santé en obsession, à ne pas pratiquer le recours systématique et immédiat à la prise de médicaments dès l’apparition du moindre trouble. A ne pas devenir un simple consommateur en somme.

Le docteur Boukris revendique un retour à une médecine plus humaine et individualisée, donnant la priorité à l’individu et non à la maladie, à la santé et non au profit.
Et se souvenir que, comme le disait si justement Alphonse Allaïs :  

« Quels que soient les progrès de la médecine, la mortalité humaine sera toujours de 100%. » !

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Mars 2012   

3 avr. 2013

'L'Apothicaire', Henri Loevenbruck




« - Notre première expérience de vie, dans le ventre de notre mère, est une expérience solitaire. Dès lors, toute son existence, on cherche l'Autre. Désespérément. On cherche une âme soeur, une entière compagnie, comme pour soigner cette solitude première, tu comprends ? Et puis les années passent, les illusions s'abîment, et la vie nous apprend à nous préparer à retrouver cette solitude. Ainsi est le sens de la vie : au contact d'autrui, il s'agit d'accepter qu'un jour nous serons seuls à nouveau. Et l'accepter n'est pas une mince affaire, je te l'accorde. Mais je crois y être parvenu. Je suis prêt. »

Il est des livres que l’on oublie aussi vite qu’on les a lus. Certains parviennent à nous tenir en haleine jusqu’à un dénouement souvent décevant. Il en est d’autres dont on tourne péniblement les pages dans l’attente d’un petit quelque chose en plus qui n’arrive pas toujours. Et puis il est des livres, plus rares, par lesquels on se laisse posséder, envahir ; des livres qui nous offrent bien plus qu’un moment d’évasion ou de détente, avec lesquels se tisse un lien étroit et dont l’empreinte résiste au temps.

Nul doute que L’Apothicaire appartient à cette dernière catégorie. Entre le polar, le roman historique, le conte philosophique ou encore ésotérique, Henri Loevenbruck a préféré ne pas choisir, et autant dire qu’il a bien fait !

Nous voilà donc immergés en 1313, dans le Paris médiéval de Philippe le Bel et des Templiers où sévissent luttes de pouvoir et autres querelles théologiques. Par un matin de janvier, Andreas Saint-Loup, fameux apothicaire de la rue Saint-Denis, découvre dans sa demeure une pièce dont l’existence semble avoir échappé à tous ses habitants. Tandis qu’il tente de trouver une explication rationnelle à ce phénomène - rejetant toute interprétation mystique ou religieuse - d’autres évènements étranges se produisent…

Comment des pans du passé peuvent-ils avoir échappé à la mémoire de tous ? Et pourquoi les recherches d’Andreas Saint-Loup semblent tant déranger certains hommes de pouvoirs bien décidés à le faire taire ? Soupçonné d’hérésie et pourchassé par l’Inquisiteur de France, l’Apothicaire décide alors de partir sur les traces de ce mystérieux passé et se lance dans une quête de la vérité qui l’emmènera de Paris au Mont Sinaï, en passant par Saint-Jacques de Compostelle. Tout au long de ce périple qui le mettra face à de nombreux dangers, il pourra compter sur le soutien inconditionnel de son jeune apprenti, Robin, ainsi que sur celui d’Aalis, une petite fille confrontée trop tôt aux désillusions de la vie, dont les deux hommes croiseront le chemin.

Quelques pages suffisent pour se laisser envoûter par la plume fluide et gracieuse de l’auteur, et par ce personnage d’Andreas Saint-Loup auquel on sent bien que l’on va finir par s’attacher malgré la présentation plutôt rugueuse qui en est faite : celle d’un être sombre, peu bavard, impassible, solitaire, provocant, objet d’admiration et de respect. Un homme d’esprit ; être singulier à l’histoire tout aussi singulière. On l’imagine d’ailleurs sans peine cet Apothicaire – de même que l’ensemble des personnages et des lieux évoqués – au gré des méticuleuses et souvent délicieusement métaphoriques descriptions qui parsèment le récit.

« Ses yeux noirs, soulignés de cernes épais, brillaient d'un reflet d'argent, comme si deux petites lunes d'hiver, la nuit de sa naissance, étaient venues se graver à jamais au bord de ses pupilles. »

A mesure que nous voyageons aux côtés de ces trois personnages terriblement attachants, l’auteur s’adresse à nous et nous offre – dans une langue datée et sublimée – de nombreuses digressions philosophiques qui nous emmènent dans les tréfonds de notre être, là où sommeillent nos interrogations les plus existentielles. Une construction narrative qui n’est évidemment pas sans rappeler un certain Alexandre Dumas, auquel Henri Loevenbruck multiplie les clins d’œil.

« Ce besoin d'amour et de fraternité qui étreint même le plus vil des hommes n'est-il pas la preuve de notre inextinguible quête d'un Autre qui nous fasse oublier que nous ne sommes qu'un ? (…) Et quand bien même on ne la trouve jamais vraiment, on continue, pourtant, de chercher jusqu'au dernier instant cette personne qui n'existe pas, comme la promesse d'un antidote qui saurait panser toutes les plaies de l'existence. »

L’Apothicaire fait partie de ces livres dont on aime relire des passages, certains pour la sagesse qui s’en dégage, d’autres pour la douloureuse réalité qu’ils expriment et à laquelle il est parfois nécessaire de se reconnecter ; d’autres enfin pour la simple beauté de mots juxtaposés dans une alchimie parfaite. C’est à se demander si Henri Loevenbruck écrit avec un stylo ou avec un pinceau ! En tout cas, il est certain qu’il est ici question d’Art, et le plaisir qu’a pris l’auteur à l’écriture de ce livre est palpable et nous contamine jusqu’à un dénouement surprenant.

Un dénouement en points de suspension toutefois, car si le livre se termine, il n’en finit pas moins de nous hanter, point de départ de nombreux questionnements sur le sens de la vie, la solitude, l’amour, ou encore la mélancolie. Et si, à trop chercher quelque chose ou quelqu’un qui, bien souvent n’existe pas, nous finissions par nous perdre nous-même ? Et si, comme Andreas Saint-Loup, à force de chercher à comprendre tout ce qui nous entoure, on passait à côté de soi ?

L’Apothicaire est une œuvre érudite et passionnante - tant d’un point de vue intellectuel qu’émotionnel – qui nous plonge dans une intrigue palpitante derrière laquelle se dessine, en filigrane, une quête philosophique et spirituelle des plus contemporaines. Un immense coup de cœur.


Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Décembre 2011   

Découvrez mon interview d'Henri Loevenbruck ICI.  

27 mars 2013

'La vie devant soi', Romain Gary


« Monsieur Hamil paraissait tout triste. C’est ses yeux qui faisaient ça. C’est toujours dans les yeux que les gens sont les plus tristes. »
Mohammed, c’est un petit garçon arabe qui ne sait pas très bien quel âge il a, ni d’où il vient. Aucun document pour le « prouver » comme il dit, seulement les paroles de Madame Rosa, ancienne prostituée juive déportée à Auschwitz qui l’a recueilli et élevé, et qui tente du mieux qu’elle peut de le préserver d’une réalité trop brutale.
Madame Rosa habite « au sixième à pied » d’un appartement de Belleville, dans le XXème arrondissement de Paris. Elle y recueille clandestinement des enfants « nés de travers », dont les mères sont des prostituées qui ont du continuer à gagner leur vie en « se défendant » sur le trottoir. Momo, Banania, Michel, Moïse… Des « enfants de pute » qu’elle protège des nazis, des proxénètes et de l’Assistance Publique.
Alors forcément, la vie, ça a un goût un peu amer quand elle vous accueille sans vraiment vous vouloir…
« Je devais avoir quoi huit, neuf ou dix ans et j’avais très peur de me trouver avec personne au monde. Plus Madame Rosa avait du mal à monter les six étages et plus elle s’asseyait après, et plus je me sentais moins et j’avais peur. »
C’est un lien fusionnel et maternel qui unit la vieille femme au petit Momo ; deux êtres fragiles, écorchés, qui prennent soin l’un de l’autre avec une profonde tendresse.
Momo est un petit garçon doté d’une grande intelligence. Une intelligence qui s’exprime avec des mots d’enfants et une naïveté attendrissante, dont on se délecte tout au long de ce récit. Car c’est à lui que Romain Gary confie la plume dans ce roman. Les expressions figurées sont employées au sens propre et côtoient des mots inventés, déformés, et autres paroles écrites comme on les dit quand on a une petite dizaine d’années et que la vie a oublié de commencer par nous faire croire qu’elle serait belle ; des descriptions coquasses mais bouleversantes de sincérité, et qui font immanquablement sourire.
« Les gens tiennent à la vie plus qu’à n’importe quoi, c’est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu’il y a dans le monde. »
Momo raconte son quotidien avec Madame Rosa, qui « s’habille toujours longtemps pour sortir parce qu’elle a été une femme et ça lui est resté encore un peu » et qui se parfume toujours derrière les oreilles, « peut-être pour que ça ne se voie pas ».
On est forcément touché par ces deux êtres écorchés que tout oppose en apparence mais qu’un amour profond unit. Touché par ce petit garçon qui se demande si on peut vivre sans amour et qui a transformé son parapluie en un ami imaginaire…
Il y a aussi ce petit caniche gris qu’il vole et qu’il se met à aimer « comme c’est pas permis » avant de le vendre pour qu’il ne manque de rien et soit plus heureux. L’argent reçu, il s’en moque et le jette dans une bouche d’égout…
Inquiétée par quelques crises de colère de ce type, Madame Rosa emmène à plusieurs reprises Momo chez le médecin, Monsieur Hamil. Mais à chacune de ces visites, c’est à elle que ce dernier prescrit du repos ou des médicaments. Lorsque la vieille femme tombe malade, Momo décide de s’occuper d’elle à son tour et l’aide à se cacher dans ce qu’elle appelle son « trou juif », pour que sa volonté de ne pas mourir à l’hôpital soit respectée.
C’est un roman triste et tendre, sombre et optimiste, violent et empli d’humanité, qui hante longtemps notre esprit. Romain Gary aborde des thèmes profonds, souvent douloureux – tels que la vieillesse, l’euthanasie, la mixité sociale, la solidarité entre des êtres de générations, cultures ou religions différentes, ou encore le besoin d’amour, avec une légèreté de ton et un optimisme naïf permis par le très jeune âge et l’imagination débordante de son narrateur. Ainsi, l’humour vient teinter de douceur les noirceurs de l’existence et défier le désespoir de vivre.
C’est sous le pseudonyme d’Emile Ajar que Romain Gary publia ‘La vie devant soi’ en 1975. Ce nom d’emprunt et la complicité de son neveu Paul Pavlovitch qui se présenta comme l’auteur, lui permirent d’être récompensé d’un Prix Goncourt pour ce roman. Prix qu’il n’aurait jamais dû recevoir puisqu’il avait déjà été récompensé pour ‘Les racines du ciel’ en 1956.
Cette supercherie ne fut révélée qu’après la mort de Romain Gary qui mit fin à ses jours en 1980 et s’inscrivit comme le seul romancier à avoir obtenu à deux reprises ce prix prestigieux et convoité.

Mélina Hoffmann        


Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Mars 2012   
 

8 mars 2013

'Le livre de l'intranquillité', Fernando Pessoa



« Je suis les faubourgs d'une ville qui n'existe pas, le commentaire prolixe d'un livre que nul n'a jamais écrit. Je ne suis personne, personne. Je ne sais ni sentir, ni penser, ni vouloir. Je suis le personnage d'un roman qui reste à écrire, et je flotte, aérien, dispersé sans avoir été, parmi les rêves d'un être qui n'a pas su m'achever. »
Voilà un livre qui coupe le souffle, un ovni littéraire qui nous chahute avec douceur et violence tout à la fois, sans plus quitter notre quotidien. Et on se demande pourquoi on ne l’a pas eu entre les mains avant. Avant tous les autres, avant aujourd’hui, avant le reste aussi.
Encore faut-il être prêt à ingérer ces quelques 600 pages de prose agonisante et désordonnée, et à plonger dans les tréfonds de l’âme humaine, là où git l’être dans sa nudité la plus absolue, là où l’on évite généralement de s’aventurer. Mais il suffit d’y prêter un œil pour être littéralement ensorcelé par ce qui se dégage de grandiose et de fascinant de l’œuvre posthume de ce célèbre poète portugais du XXème siècle.
Ce livre est en réalité le journal qu’a tenu Fernando Pessoa tout au long de sa vie sous l’identité d’un modeste employé de bureau de Lisbonne, Bernardo Soares, l’un de ses nombreux homonymes.
Il y impose une langue et un style singuliers, ne respectant aucun cadre, aucune structure, et transcrivant de manière complètement brute et décousue les tourments qui l’habitent, ses réflexions sur la vie, l’humain, l’amour, l’Art...

La prose de Fernando Pessoa a ceci d’extraordinaire qu’elle dépeint les choses, les êtres, la vie en général, avec une lucidité étourdissante. La réalité semble littéralement habiter ses mots ; les impressions et les sensations se dessinent sous sa plume tels des paysages.
Une conscience exacerbée qui lui rend l’existence presque insoutenable.
« Qui donc me sauvera d'exister ?
Je gis ma vie. »

On se surprend pourtant, parfois, à lui envier cette lucidité tant elle semble par ailleurs le libérer de quelque chose. Un quelque chose qui pourrait ressembler à l’espoir, finalement...
Avec une humilité désarmante et même une indifférence avouée à son égard, il nous livre ses angoisses les plus profondes, sa vision sombre du monde, son dégoût des hommes, son ennui face aux sensations et aux émotions, sa douleur d’exister.
Fernando Pessoa assume sa vie comme une perpétuelle errance, une inconsistance à laquelle seul l’Art peut donner un sens, et porte en lui une profonde tristesse qui donne à toutes choses un goût prématuré de nostalgie, une douce amertume. Cette intranquillité qui l’habite nous gagne également un peu plus à chaque page, et pourtant, il émane de toute cette grisaille de l’âme quelque chose de lumineux, de réconfortant. La plume de Pessoa est à ce point gorgée de poésie que même les mots les plus douloureux ressemblent à des caresses, et qu’une fois la lecture terminée, on y revient sans cesse puiser ça et là un peu de cette douceur.
« Un froid angoissé pose ses mains glacées autour de mon pauvre coeur. Les heures grises s'étirent, s'interminabilisent dans le temps ; les instants se traînent. »
Passionné, pessimiste, affamé d’une affection qu’il n’a jamais reçue, celui dont le nom signifie ‘personne’ en portugais – ça ne s’invente pas ! - se considère comme n’étant fait que d’inachevé et de renoncements, rêvant de disparaître, non pas au sens de mourir, mais au sens métaphysique de ‘non-exister’.
A mi-chemin entre le rêve éveillé et la folie, Pessoa touche du doigt l’impalpable, traduit en mots des sensations à la lisière de l’indicible. Il cherche à se vivre pleinement autant qu’à se fuir. Cette impossibilité le plonge dans une réelle incapacité à vivre et l’amène à privilégier le rêve et l’espace confortable de sa liberté intérieure.
« Vis ta vie. Ne soit pas vécu par elle. Dans la vérité et dans l'erreur, dans le plaisir et dans le dégoût de vivre, soit ton être véritable. Tu n'y parviendras qu'en rêvant, parce que ta vie réelle, ta vie humaine, c'est celle qui, loin de t'appartenir, appartient aux autres. Tu remplaceras donc la vie par le rêve, et ne te soucieras que de rêver à la perfection. Dans aucun des actes de la vie réelle, depuis celui de naître jusqu'à celui de mourir, tu n'agis vraiment : tu es agi ; tu ne vis pas : tu es seulement vécu. »
Ce livre est le chef-d’œuvre d’un génie littéraire, rien de moins. On ne se remet pas complètement d’une telle lecture et des questionnements philosophiques et métaphysiques qu’elle pose.  On y laisse un bout de soi, on en ressort transcendé, habité par quelque chose de nouveau.
« Je voudrais que la lecture de ce livre vous laisse l'impression d'avoir traversé un cauchemar voluptueux. »  Fernando Pessoa n’aurait pas pu mieux s’y prendre ! Aucun cauchemar n’a jamais été aussi doux, et aucun réveil n’a jamais donné à ce point l’envie de se rendormir.

Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Février 2012   

27 févr. 2013

'Quand souffle le vent du Nord', Daniel Glattauer

« Trois jours plus tard
Objet : La pause est finie !
Chère Emmi, nous avons fait une pause de trois jours sans mails. Je trouve que nous pourrions nous y remettre. Je vous souhaite une bonne journée de travail. Je pense beaucoup à vous, le matin, le midi, le soir, la nuit, entre-temps, à chaque fois un peu avant et un peu après – et aussi pendant. Je vous embrasse, Leo. »
Une adresse mail mal recopiée, un courrier adressé à un mauvais destinataire, et voilà comment ce qui aurait dû n’être qu’un banal courrier administratif se transforme en point de départ d’une interminable correspondance entre un homme et une femme  dont les chemins n’avaient – à priori – aucune raison de se croiser.
Leo Leike et Emmi Rothner ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais vus et ne savent absolument rien l’un de l’autre. Deux parfaits étrangers en somme. Pourtant, un jour de janvier, c’est dans la boîte mail de Leo qu’arrive par erreur un mail d’Emmi demandant la résiliation de son abonnement à un magazine. Un mail auquel Leo décide de répondre pour avertir la jeune femme de sa mégarde. Tout aurait pu s’arrêter là. Mais il n’y a pas de hasard dit-on…
Ainsi, de trait d’humour en douce provocation, les mails se succèdent, se rapprochent, se bousculent ; Emmi et Leo tentent de se deviner sans rien se révéler de leurs vies respectives ; les mots valsent, se taquinent, se fuient, se rattrapent, s’enlacent, s’agrippent, s’écorchent... Le jeu de séduction s’installe, le lien se crée. Les « Cordialement » deviennent des « bises », qui se changent peu à peu en « je vous embrasse », puis en « je vous embrasse très fort », de même que la signature de la jeune femme - E.Rothner - se mue en Emmi Rothner, avant de devenir Emmi, puis ‘votre Emmi’.
« Je n’arrive pas à dormir.  Vous ai-je déjà parlé du vent du nord ? Je ne le supporte pas quand ma fenêtre est ouverte. J’aimerais bien que vous m’écriviez encore quelques mots. Juste « fermez la fenêtre alors ». Et je pourrai vous rétorquer : je n’arrive pas à dormir avec la fenêtre fermée. »
L’étreinte se resserre entre ces deux êtres dont ni les corps ni même les regards ne se sont jamais rencontrés ; le plaisir de mails échangés se fait besoin, la dépendance s’installe, puis se pose naturellement la question de la rencontre, et cette crainte de rompre ce que ce lien a d’impalpable. Ils se lancent alors un défi : se donner rendez-vous dans un café bondé, et se reconnaître, sans savoir à quoi ressemble l’autre, et avec l’interdiction de s’aborder. Mais y sont-ils vraiment prêts ? Sauront-ils se retrouver au-delà des mots ? Existe-t-il une place pour eux quelque part, ailleurs que dans cet espace virtuel ?
Didier Glattauer nous offre une romance contemporaine diablement efficace que l’on dévore d’une traite ! Une histoire originale, tendre, pleine de fraîcheur ; des répliques pétillantes, piquantes ; des personnages auxquels on s’identifie sans mal et qui nous offrent le délicieux spectacle des premiers temps de l’amour, de ses craintes, ses hésitations, ses impatiences, ses angoisses, ses impossibilités aussi parfois. Au fil des pages, on se laisse envelopper dans une sorte de cocon douillet, une bulle de douceur qui nous fait oublier tout ce qui se passe autour, et on se sent immédiatement devenir - nous aussi !- accros à ces mails, à leur ton taquin et passionné, à la magie de cet amour épistolaire à priori complètement improbable et pourtant crédible.
« Emmi, vous me hantez. Vous me manquez. J’ai le mal de vous. Je lis vos mails plusieurs fois par jour.  Votre Leo. »
On lit le sourire aux lèvres, on a le cœur qui se serre un peu parfois, on devine l’angoisse, on devient Emmi, ou Leo, et on savoure chaque nouveau mail comme s’il nous était adressé.
Et puis on guette notre boîte mail, au cas où…
Un livre drôle, rythmé, tendre, qu’on lit le sourire aux lèvres et dont on a beaucoup de mal à se défaire. Mais heureusement, Leo et Emmi n’ont pas dit leur dernier mot…

Mélina Hoffmann

Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Février 2012   

9 févr. 2013

'Derrière la neige', Audrey Guiller



« Avril 2009 : Cause départ étranger, propriétaire meublé cherchent couple de retraités non fumeurs, sans animaux, sans amis, sans chaussures à talons et particulièrement honnêtes, pour location d'un an. »

Il faut une sacrée dose de courage pour quitter son petit chez soi douillet pour un endroit où il fait froid toute l’année, où il neige, où la nuit tombe tôt, où il fait froid, où il neige, où il… neige… ! Surtout quand vos amis vous encouragent à coups de « Il fait vraiment froid là-bas, et puis toute cette neige…! »

Au diable les préjugés et qu’importe le froid ! Audrey Guiller a décidé de s’installer pendant un an au Québec, en compagnie de son mari et de ses trois enfants. Une épopée familiale que la journaliste bretonne nous fait partager, saison après saison, au travers d’anecdotes et autres petites chroniques pétillantes de la vie quotidienne. Des chroniques qui n’avaient nulle autre ambition que le blog de la jeune femme, initialement réservé à ses proches, puis devenu public à la demande de ses amis, et repéré par un éditeur qui lui a proposé d’en faire un livre. 

Nous découvrons alors… le froid, certes !, mais aussi tout ce qui se cache derrière la neige : du contact facile et généreux avec les inconnus jusqu’aux nombreuses opportunités offertes par la société, en passant par l’estime de soi favorisée et encouragée dès les premières années d’école, ou encore les restaurants où on apporte le vin et où on emporte les restes !

« Ils ne roulent pas sur les doigts de pieds des piétons trop lents à traverser, ils ne doublent pas dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, ils sont détendus du klaxon, zen de l'appel de phares. Ils s'insultent moins que des Français de 3 ans en cours de trottinette. »

Il n’y a, dans ce livre, ni vérité absolue, ni volonté de dénigrer un pays ou un peuple au profit de l’autre. Les bons et les mauvais côtés de chacun se côtoient sans aucune animosité. Audrey Guiller porte un regard tendre, malicieux et sans prétention sur ce qui l’entoure, n’hésitant pas à pratiquer l’autodérision : « Qu'est-ce qui est plus tolérant qu'un Québécois ? Deux québécois. Et qu'est-ce qui est plus râleur et impoli qu'un français ? Pffff. Rien. Un seul suffit. » 
Elle évoque aussi les moments de nostalgie, toujours avec un fond d’humour, comme lorsqu’elle avoue avoir parfois gardé son bikini sous ses vêtements chauds : « Un acte de rébellion contre l'hiver. [...] Sous les pavés, la plage, quoi ! »

Ce livre a d’abord été chaleureusement accueilli par le public canadien avant d’arriver en France. Une lecture divertissante et rafraîchissante, qui donnerait presque envie de tenter l’aventure… s’il n’y avait pas ce froid !


Mélina Hoffmann


Le blog de l’auteur : http://audrey.openkam.net/

Chronique publiée dans le BSC NEWS MAGAZINE de Janvier 2012