«
Dans le couloir de correspondance, tu as posé tes pas sur les miens. Nous avons
marché en cadence. Ton pied gauche sur mon pied gauche. Mon pied droit sur ton
pied droit. Deux amoureux n'auraient pu épouser leur rythme avec autant
d'harmonie. En as-tu conscience ? J'ai accéléré car, tout de même, nous ne nous
connaissions pas. »
Il est le lieu des rencontres avortées, des sourires
oubliés, des regards fuyants, des solitudes partagées. On s'y croise, on s'y
bouscule, on s'y observe, on s'y retrouve... où on s'y perd. On s'y mélange,
que l'on vienne d'ici... ou d'ailleurs. Pour certains ce n'est qu'un lieu de
passage, pour d'autres c'est devenu un lieu de subsistance où la chaleur
humaine est en libre-service.
Prisonnier de ses souterrains, le métro glisse tel un
serpent d’une station à une autre, avalant et régurgitant inlassablement son
flux de voyageurs pressés, perdus -parfois ni l’un ni l’autre - soumis bien
malgré eux à une promiscuité dérangeante ou au contraire agréable. Au sein de
ce microcosme urbain se jouent chaque jour des scènes ordinaires, parfois
étranges, parfois drôles, parfois touchantes, dans lesquels s’improvisent les
rôles, éphémères.
C’est cette atmosphère particulière, familière à beaucoup
d’entre nous, qu’a voulu retranscrire Jeanne Truong au travers de ces
nombreuses anecdotes piochées ça et là, au détour d’une ligne, d’une station,
d’un couloir. Des fragments de vie à l’état brut, qui nous ramènent
inévitablement à nous-mêmes et à nos mouvements d’âme. « En côtoyant ces galeries de portraits, traversées par tant d'étranges
autochtones, je ne fais que descendre au cœur de la nudité humaine. »
Il y a cette jeune fille qui cherche une terre d’asile pour
son esprit dans les mots de Proust ; cet homme au chômage qui passe ses
journées à demander l’heure pour goûter à un semblant de communication avec le
monde qui l’entoure ; et puis ces corps qui se frôlent, se heurtent, bien
souvent dans la plus parfaite indifférence…
Aux anecdotes se mêlent les commentaires de
l’auteur sur la façon dont fonctionne cette drôle de société souterraine : « De manière générale, pour réussir à
obtenir une aumône, il ne faut pas avoir l'air trop pauvre ni trop malheureux.
Ce qui arrache les larmes intérieures à la foule, c'est le clochard au visage
digne, le pierrot muet, fantôme imperturbable dont l'inexpression inspire ce
qu'on veut bien y mettre. Le mime froid et blanc au-delà des amertumes,
retranché dans une solitude insondable. Ce qui a encore plus de succès, c'est
l'homme qui a un langage châtié, celui qui sent les études, l'érudit, l'homme
de lettres, le poète déchu, celui qui tient sa phrase avec son vocabulaire
livresque. »
Un livre contemporain qui nous invite à nous attarder
quelques instants (de plus ?) sur celles et ceux avec lesquels nous
cohabitons chaque jour, dans l’espace clos de wagons ; ces compagnons de
voyages que nous ne choisissons pas, que nous croisons seulement, sans jamais
les rencontrer.
Chronique publiée dans le BSC News Magazine de novembre 2011.
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