A la suite d’une
représentation, Esteban Perroy - créateur, producteur et metteur en scène du
spectacle Colors, aux côtés de Franck Porquiet - a accepté de se prêter au jeu
de l’interview pour le BSC News Magazine. Une rencontre forcément colorée, à
l’image de cet homme drôle, passionné et chaleureux !
Esteban bonjour ! Pour la sixième année consécutive, Colors investit la scène du Théâtre du Gymnase à Paris chaque dimanche soir, devant un public toujours aussi conquis. Aviez-vous imaginé un tel succès ?
On espère, on
fantasme toujours secrètement le succès d’un spectacle. Mais il ne suffit pas
d’avoir de la chance pour que cela arrive. Il faut d’abord une communication
efficace autour de l’évènement. Mais surtout, pour qu’un spectacle fonctionne
il doit apporter quelque chose au spectateur : de l’émotion, de la
générosité, du partage, de la bienveillance, bref de l’humanité ; lui
offrir la possibilité de s’échapper des problèmes de son quotidien, le
surprendre. On voit notamment à Paris des spectacles qui fonctionnent mal
malgré d’importants moyens financiers déployés et de grosses têtes d’affiche,
pour la simple raison que les spectateurs n’y trouvent rien de tout cela. Pour
provoquer l’acte d’achat le spectacle doit être formellement attractif, mais si
le fond ne suit pas, les critiques seront d’autant plus dures et le
bouche-à-oreille désastreux.
Est-ce que nous
avions prévu ce succès ? Non. Mais nous l’espérions c’est certain, et nous
nous donnons les moyens qu’il continue d’être au rendez-vous les prochaines
années. Quand un spectateur nous dit en sortant que le spectacle était
« sympa », c’est certainement que de notre côté nous n’en sommes pas
satisfaits. Nous allons alors débriefer pendant une heure avec l’équipe pour
savoir ce qui n’allait pas. En revanche, si les spectateurs l’ont trouvé
« génial, merveilleux, fantastique, incroyable…» nous nous octroyons un
peu d’apaisement en se disant que « ce soir, on a fait notre job ». Nous
voulons que les gens sortent éblouis, enjoués, qu’ils n’aient qu’une seule
envie : revenir la semaine suivante parce qu’ils auront partagé avec nous
un moment où ils auront ri, où ils se seront sentis bien, où ils auront eu un
peu foi en l’humanité. C’est peut-être prétentieux mais l’objectif reste de
transmettre du bonheur et de joie de vivre à des spectateurs qui nous font
l’honneur de payer pour venir nous voir.
Comment en
êtes-vous venu à l’improvisation ? Pourquoi ce choix ?
J’ai rencontré
l’impro par hasard il y a 20 ans. J’étais en école de commerce à Grenoble, et
il m’a fallu choisir entre trois matières optionnelles : graphologie,
improvisation ou psychologie de l’acheteur. Etant plutôt grande gueule, je me
suis dit que j’allais prendre impro pour cartonner. Grossière erreur, j’ai
morflé pendant plus de 10 ans ! Dès lors il m’a fallu me battre contre
moi-même, mon ego et mes certitudes. Parce qu’être grande gueule, dans l’impro,
ça ne marche pas. C’est une discipline qui nécessite avant tout de la
générosité, l’écoute et la curiosité de l’autre, beaucoup de respect et de
l’abnégation. J’avais beaucoup de problèmes à résoudre avec moi-même à
l’époque, et autant dire que j’étais loin de posséder toutes ces qualités.
L’impro m’y a beaucoup aidé. Aujourd’hui, je suis heureux grâce à ça, et j’en
ai fait ma vie.
Comment
aborde-t-on une improvisation ? Y a-t-il des règles à respecter ? Des
codes entre les comédiens ?
L’impro est une
discipline artistique à la fois intellectuelle, physique et très ludique.
Attention je ne
parle pas du match d’impro qui est une forme spécifique de spectacle avec des
règles précises. J’évoque la matière improvisation en général. Il n’y a pas de
codes ni de règles, mais plutôt des techniques. Savoir écouter l’autre,
apprendre à rebondir sur ce qu’il va proposer ou faire, travailler son
imaginaire pour construire en temps réel, et sa mémorisation pour assurer la
cohérence de l’histoire, des lieux, des accessoires créés, accepter de lâcher
prise pour favoriser la spontanéité et la surprise… On y ajoute la partie
théâtrale : être capable d’inventer et incarner un personnage, avec son visage,
son corps, sa voix. Il peut s’agir d’hommes, de femmes, jeunes ou vieux, d’un
animal, d’un objet, même d’un concept ; comme la mort est par exemple
représentée par une faucheuse, je peux incarner le concept du mensonge, l’air
du temps, etc.
Il faut travailler
de nombreuses années sur l’énergie et l’incarnation de ce que l’on va faire
avec son corps, sa voix, son visage, sa respiration, la manière dont on va s’ancrer
dans le sol… Enfin, il y a la technique pure liée à l’improvisation, à savoir
la capacité à constituer un nœud dramatique dans une histoire, à rebondir sur
les propositions de l’autre et à renoncer parfois à une idée si la proposition
de l’autre ne s’y prête pas.
Il faut que les
spectateurs et vos partenaires de jeu croient en les personnages qu’ils voient,
qu’ils oublient les comédiens. C’est
essentiel.
Vous participez
au spectacle en tant que Mister Purple. J’allais vous demander pourquoi vous
aviez choisi cette couleur, mais en voyant la coque de votre Iphone (qui est
violette), j’ai une petite idée !
Oui !
(rires) Je peux vous montrer mon porte-monnaie aussi si vous voulez… Même mes
chaussettes mais bon... !
J’ai toujours
été fasciné par les couleurs, j’aime cette notion d’embrasement, de prismes,
d’explosion de couleurs, de lumière que l’on retrouve dans chaque spectacle.
Et le violet a
toujours été ma couleur préférée, alors quand nous avons choisi les couleurs je
me suis dépêché de choisir la mienne pour qu’on ne me la prenne pas !
Chaque dimanche
vous recevez un invité spécial, généralement un comédien, qui endosse le
costume de Miss ou Mister White aux côtés des autres comédiens. Quel est votre
souvenir le plus marquant ? L’invité qui vous a le plus surpris ?
Nous avons eu
beaucoup d’invités merveilleux. Je pense notamment à Bérénice Béjo, Nicolas
Briançon, Isabelle Mergault, ou encore Michel Boujenah qui a fait preuve d’une
générosité et d’une incroyable énergie sur scène.
J’ai une
anecdote qui remonte à une quinzaine d’années. Je venais de découvrir le film
d’Olivier Dahan ‘Déjà mort’, dans lequel il y avait notamment Benoît Magimel,
Romain Duris et Zoé Félix. Ce jour-là j’ai eu un coup de cœur pour Zoé Félix.
L’année dernière elle est venue jouer dans Colors. A la deuxième impro, j’étais
allongé à moitié mourant sur une île déserte, et elle m’a fait du
bouche-à-bouche pour me réanimer – je n’avais rien demander à personne !
J’étais tellement ému que je suis resté scotché (ce qui n’a pas manqué de faire
réagir les spectateurs). Nous étions en état de jeu, je n’étais pas conscience
de la scène en tant que moment réaliste, je n’ai absolument pas profité de la
sensation de ce baiser. Et puis, je savais que son compagnon était dans la
salle donc ça n’aurait pas été très classe ! Voilà, c’était un moment
incroyable, mais en même temps j’ai loupé le coche, je m’en veux un peu.
(rires)
Un autre très bon souvenir : un soir, le comédien qui était prévu pour jouer le rôle de Mister White a annulé sa venue à la dernière minute. La salle était pleine, le spectacle était sur le point de commencer, et nous n’avions pas de Mister White. Et là, le régisseur du spectacle remarque la moto de Vincent Moscato – ancien international de rugby français, animateur radio sur RMC et comédien - garée devant le café d’à côté. A l’époque je ne le connaissais pas personnellement mais je savais qu’il faisait du théâtre et des one-man. Je suis allé le voir direct. Il était avec sa femme et son enfant, il ne savait pas qui j’étais, je lui ai expliqué la situation et mon problème technique en dix secondes… et il a dit « ok » ! On lui a commandé une pizza à l’arrache qu’il a englouti en trois minutes avant le lever de rideau…
La soirée a été
magique ! Il n’avait jamais fait d’impro de sa vie, il n’a pas eu le temps
de se mettre la pression et était donc en lâcher-prise total ! Il a été
extraordinaire et nous avons passé un moment inoubliable. L’un des plus beaux
Colors sans doute.
Et qui aimeriez-vous recevoir ?
José Garcia,
Marina Foïs, et le must du must serait Benoît Poelvoorde.
Benoît si tu
lis ces lignes, je te veux, tu es notre héros ! Nous t’offrons deux heures de
lâcher prise totale sur la scène d’un merveilleux théâtre, tandis que 800
vierges aux yeux de nacre scanderont ton nom et que des cascades de miel et de
myrtes couleront à tes pieds. Appelle-moi, facebook–moi !
La sixième
saison de Colors nous réserve-t-elle quelques surprises ?
Absolument !
(Silence)
Nous n’en
saurons donc pas plus !
Et bien non,
c’est le principe de la surprise ! (rires)
Pour le moment,
je peux néanmoins vous dire que nous aurons dans les mois à venir notamment la
visite de Michèle Laroque et Arthur Jugnot.
Et peut-être
une énorme surprise en janvier…
Quels sont vos
projets pour les mois à venir ? D’autres spectacles en préparation ?
Je continue à
donner, presque chaque soir, des cours à l’école française d’impro que je
dirige avec Franck Porquiet qui est aussi le co-producteur de Colors et un
partenaire de scène de longue date.
J’ai des
projets cinéma, notamment une comédie que j’ai co-écrite et qui sera produite
l’année prochaine, ainsi que deux films prévus en tournage pour 2013.
Un recueil de
nouvelles devrait voir le jour courant novembre, intitulé ‘Contes de la
Blanche-Nuit’ et illustré par Nicolas Perruchon, avec une dizaine d’histoires
aux univers variés.
Et puis côté théâtre,
vous me retrouvez les dimanches soir au Gymnase pour Colors. Et également les
vendredis et samedis soirs au Palais des Glaces pour ‘La Boîte de Pandore’, un
spectacle plus intimiste avec seulement deux ou trois comédiens sur scène, des
improvisations plus longues et un univers assez hilarant et très onirique.
Quelle question
auriez-vous aimé que je vous pose ?
Que faites-vous
ce soir ?
Et que
m’auriez-vous répondu ?
On va boire un
Mojito Framboise ?
Propos
recueillis par Mélina Hoffmann
Retrouvez les
dernières actualités d’Esteban Perroy sur son site Internet :
Interview publiée dans le BSC
News Magazine de Septembre 2012 (pages 122-128)
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