« Le passé ne doit pas être
un refuge facile, pratique, qui se transforme en réalité encombrante, en piège,
un lourd fardeau qui plombe l'existence, le maléfice de la lucidité. Le passé
est le passage vers le présent. L'imagination se ballade, flirtant entre la
mémoire et l'oubli. Comme le courage et la lâcheté, si proches qu'ils finissent
par se confondre, le souvenir et l'oubli n'ont d'autre solution que de
cohabiter, devenir complices. Tout repose dans le dosage. C'est un peu le sens
de mon histoire. »
Il
est des rencontres comme des séismes, capables de faire s’effondrer les
fondations de toute une vie. Pour un sourire, un visage, quelques mots, une
simple présence, c’est parfois tout un univers qui bascule. Pour un lien qui ne
s’explique pas, pour une destination inconnue, pour une incertitude, on a envie
de se perdre, de quitter le confort rassurant d’un quotidien sans surprise, de
se mettre en danger.
C’est
au cours d’un mariage auquel il est invité que Balthazar Saint-Cene, antiquaire
de renom sur la place de Paris et quarantenaire misanthrope, rencontre Alma,
une femme mystérieuse et troublante à laquelle il se sent immédiatement lié
sans toutefois parvenir à définir la nature de ce lien. Elle dit être son ange
gardien, s’échappe sans qu’il n’ait le temps de la retenir puis lui revient,
évanescente… Elle sait tout de lui. D’elle il ne sait rien. Pourtant, cette
fascination, ce besoin irrépressible et soudain de ne plus s’en séparer. « Il
nous fallait rattraper le temps perdu, réparer l'injustice de ne pas s'être
rencontrés avant, bien avant, depuis le début, depuis toujours... » Est-elle
seulement réelle ? On en doute parfois.
Entre
curiosité, obsession et remise en question, Balthazar décide alors de tout
quitter – femme, enfant et activité professionnelle -, pour enfin peut-être se
trouver lui-même. Car au-delà de cette Alma – à la fois si proche et si
inaccessible - dont il veut suivre la trace et percer les mystères, c’est avant
tout sur celle de sa propre existence qu’il se lance.
« Qu'est-ce que j'allais en
faire, de cette liberté ? Peut-être revenir au point de départ ? Est-ce que
tout est inscrit quelque part ? Peut-on modifier même une petite ligne de ce
qui définit ce que nous sommes, et ne cessons jamais d'être ? »
Tout
au long de ce qui se révèlera être une véritable quête initiatique, Balthazar –
en proie à ses propres contradictions et à un passé douloureux - se livre à un
dialogue intérieur avec sa conscience, incarnée par Henry Miller. Choix
évidemment judicieux que ce romancier américain qui se voulait en recherche
perpétuelle de sa pleine libération, aspirant à l’intensité dans la vie comme
dans l’art. L’œuvre d’Henri Miller – sujet à de nombreuses controverses –
combat le puritanisme anglo-saxon et fait l’éloge d’une sexualité libérée dont
il est beaucoup question au début de ce livre notamment.
La
légèreté et l’écriture parfois crue des premiers chapitres cèdent peu à peu la
place à un fond plus énigmatique et profond, teinté de nombreuses
interrogations, et abordant avec beaucoup de justesse la complexité des liens
familiaux, notamment le lien père-fils à travers la relation entre Balthazar et
son père : « D'amour pur et simple, il ne fut jamais
question... On ne peut obtenir de ce type d'homme, ni effusion, ni tendresse.
J'en ai pleuré souvent, même si j'ai du mal à l'avouer (...) Aujourd'hui
encore, je conserve de mon enfance une boule douloureuse dans le creux du bide,
et un ganglion rouge, même en été. »
Olivier
Bernabé nous offre un livre bavard mais néanmoins captivant et touchant, aux personnages
fouillés et attachants. Aussi, malgré les quelques longueurs que l’on pourrait
lui reprocher, les rebondissements nombreux nous mènent avec rythme jusqu’à un
dénouement surprenant.
On
suit avec intérêt l’évolution de cet homme bien décidé à trouver les pièces
manquantes du puzzle de sa vie et à les assembler dans le bon ordre. On
s’approprie certains de ses questionnements, ses doutes, ses craintes, ses
raisonnements. On sourit, on réfléchit, et c’est un peu à contrecœur qu’on le
quitte, ce Balthazar…
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC
NEWS MAGAZINE de Janvier 2012
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