« Je sors tout juste de l’hôpital où j’étais
en réanimation ces dernières semaines. On me conduit aujourd’hui dans un grand
centre de rééducation qui regroupe toute la crème du handicap bien lourd :
paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés…
Bref, je sens qu’on va bien s’amuser. »
Le ton est
donné. Fabien Marsaud, plus connu sous le nom de Grand Corps Malade, nous
raconte son quotidien en centre de rééducation alors qu’il se retrouve tétraplégique
à la suite d’un plongeon dans une piscine pas assez remplie. Un accident
particulièrement tragique lorsqu’on a 20 ans et que l’on rêve d’une carrière
sportive de haut niveau. Une vie toute entière bouleversée. Des années d’insouciance
volées. Un avenir à réécrire.
Pourtant, bien
loin de s’apitoyer sur son sort, celui que l’on connaissait jusqu’alors pour
ses talents de slammeur révélés dans trois albums depuis 2006 et récompensés
par deux victoires de la musique en France et deux Félix au Québec, nous livre ici
un témoignage inédit sur le handicap. Contre toute attente des médecins qui
n’avaient aucun espoir de le voir remarcher un jour, le jeune homme à
l’optimisme sans faille et au mental de résistant a finalement retrouvé une grande
partie de sa mobilité, mais surtout son autonomie. Car, on le découvre au fil
de ce récit émouvant, c’est bien là ce qui fait le plus cruellement défaut aux
personnes privées de l’usage de leurs membres.
Des gestes de la
vie quotidienne auxquels on ne penserait pas forcément tant on les accomplit
machinalement, mais qui place les tétraplégiques dans un état de dépendance à
l’autre et d’inconfort pratiquement constant. Marcher devient finalement un
luxe auquel on ne pense plus, ou si peu, lorsque le simple fait de se gratter, se
laver, de fumer, zapper, embrasser, ou encore faire ses besoins ne sont plus
possibles seul…
C’est ce que
Grand Corps Malade nous confie dans ce récit à la tonalité assez singulière qui
n’autorise pas la pitié. Avec une habileté déconcertante, il use de son
franc-parler mais aussi d’humour noir et de nombreuses anecdotes pour
dédramatiser le handicap sans pour autant en minimiser la gravité. Il raconte
le quotidien en centre de rééducation, les liens qui s’y créent, le rapport étroit
avec le personnel soignant dont l’omniprésence est nécessaire, l’indélicatesse
de certains d’entre eux, les minutes qui défilent en prenant tout leur temps,
la gêne lorsqu’il lui est à nouveau permis de ressentir l’espoir, les idées
reçues qui volent en éclat, son sentiment d’impuissance face à certaines
souffrances qu’il côtoie, les moments de doute, les fou-rires aussi…
« J’avais un pote, à chaque fois qu’il
s’apprêtait à sortir de la salle pour laisser entrer quelqu’un d’autre, il
avait ce putain de réflexe, il disait : « Bon, je vais y aller, ne
bouge pas, je vais dire au suivant qu’il peut entrer. » Ah ! Bah
merci de me rappeler de ne pas bouger, j’allais justement faire quelques pas
chassés dans le couloir… »
Ce livre est
comme un pansement que l’on met sur une plaie, un éclat de rire sous la pluie,
une lueur d’espoir en plein chaos. Il y est surtout question de courage, des
moments de partage et d’ « en-vie » !
Ainsi, et contre
toute attente, on rit – on sourit au moins – à chaque page ! Jusqu’aux
larmes parfois ! Des larmes qui n’ont plus tout à fait le même goût à
mesure que l’on s’approche de la fin et que le voile de l’humour se dissipe
quelque peu, nous ramenant à une réalité plus douloureuse.
Une chose est
sûre, la plume de Grand Corps Malade n’est pas capricieuse. Qu’il écrive en
vers ou en prose, son encre est la même : un savoureux mélange de
sincérité, d’émotions, de subtilité, de pudeur et de générosité.
Avec ce livre –
qu’on ne lâche pas avant de l’avoir fini, soyez-en prévenu ! - Grand Corps
Malade nous prouve une fois de plus qu’il est avant tout un grand cœur bien
valide, et nous livre ici un témoignage émouvant et une touchante leçon de vie.
Mélina Hoffmann
Chronique publiée dans le BSC
NEWS MAGAZINE de Décembre 2012 (pages 127-128)
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